Il y a quelques mois, j'ai publié un billet dans lequel je reprenais l'appel à commémorer les 60 ans du Programme du Conseil National de la Résistance.
A cette occasion, j'ai donné des liens vers les transcriptions de 4 émissions de radio Des Sous et Des Hommes sur AligreFM, au cours desquelles Pascale Fournier recevait successivement Raymond Aubrac (Grand Résistant), Philippe Dechartre (Grand Résistant, ancien ministre du Général De Gaulle et Doyen du Conseil Economique et Social), Maurice Kriegel-Valrimont (Grand Résistant, Commandant national des forces françaises de l’intérieur en 1944) et Stéphane Hessel (Ambassadeur de France, Résistant qui a rejoint le Général de Gaulle en 1941, déporté à Buchenwald et à Dora).
Quelques extraits de ces quatre interviews :
Raymond Aubrac : 1er mars 2005
Le programme du CNR a été un acte très important et finalement nous avons fait un appel pour essentiellement deux raisons : premièrement, le fait que le gouvernement ait complètement occulté la commémoration de la signature de ce programme et deuxièmement le fait qu' un certain nombre des actes et des décisions politiques que préconisait le Programme est petit à petit détruit, grignoté et détruit par la politique actuelle.
Alors le Programme du CNR est important parce que, d’abord, il symbolise l’unité de la Résistance. Si on avait laissé les choses aller sans un combat très sérieux pour l’unité de la Résistance, la France aurait pu se trouver à la Libération dans un état de guerre civile comme la Pologne, la Yougoslavie ou la Grèce. En réalité, l’unité de la Résistance a été, dans l’ensemble, indiquée et demandée par le Général de Gaulle et réalisé par Jean Moulin qui est arrivé, non sans peine, après beaucoup de négociations très difficiles, à obtenir la réunion du Conseil National de la Résistance, réunissant une majorité de gens d’inspiration de gauche mais aussi des représentants de tous les milieux de la Résistance, y compris des milieux modérés et des milieux de droite. Et après plusieurs mois de négociations difficiles dans les conditions de la clandestinité, l’ensemble de ces représentants, de toute la France qui résistait, est arrivé à formuler un programme.
[...]
Le programme du CNR, comme vous le dites à juste titre, voulait en gros établir une démocratie plus tolérante, plus efficace, plus juste. C’est un programme basé surtout sur la justice. Il préconise, il demande la nationalisation des grands moyens de productions, des banques, des compagnies d’assurances. Il demande l’établissement d’une sécurité sociale qui garantisse à tout le monde un niveau de vie suffisant. Il demande la liberté de la presse surtout vis-à-vis des puissances d’argent. Et en effet dans les premières années après la Libération, un certain nombre de ces recommandations ont été suivies d'effets. Et puis avec le temps, avec les équilibres de forces politiques, on constate maintenant que petit a petit ce qui a été fait par une France exsangue, détruite, malheureuse, pleine des blessures de la guerre est petit a petit détruit, défait par une France qui est maintenant dix fois, vingt fois plus riche qui aurait pu continuer dans cette voie de progrès et qui ne le fait pas !
[...]
J’ai l’impression que l’ensemble des médias est entre les mains d’un nombre très limité de gens. Et que le hasard fait, le hasard j’insiste la-dessus ! , fait que ces gens sont en même temps des grands financiers, des grands capitalistes. Quand je dis le hasard, naturellement, c’est par dérision... Il est clair que c’est à cause de leur puissance économique, de leur puissance financière, de leur poids politique aussi qui va avec, qu’ils ont pu mettre la main sur les médias, et la puissance publique a été impuissante à les en empêcher, pour autant qu’elle ait essayé de le faire, ce que je ne crois pas.
Alors le Programme du CNR est important parce que, d’abord, il symbolise l’unité de la Résistance. Si on avait laissé les choses aller sans un combat très sérieux pour l’unité de la Résistance, la France aurait pu se trouver à la Libération dans un état de guerre civile comme la Pologne, la Yougoslavie ou la Grèce. En réalité, l’unité de la Résistance a été, dans l’ensemble, indiquée et demandée par le Général de Gaulle et réalisé par Jean Moulin qui est arrivé, non sans peine, après beaucoup de négociations très difficiles, à obtenir la réunion du Conseil National de la Résistance, réunissant une majorité de gens d’inspiration de gauche mais aussi des représentants de tous les milieux de la Résistance, y compris des milieux modérés et des milieux de droite. Et après plusieurs mois de négociations difficiles dans les conditions de la clandestinité, l’ensemble de ces représentants, de toute la France qui résistait, est arrivé à formuler un programme.
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Le programme du CNR, comme vous le dites à juste titre, voulait en gros établir une démocratie plus tolérante, plus efficace, plus juste. C’est un programme basé surtout sur la justice. Il préconise, il demande la nationalisation des grands moyens de productions, des banques, des compagnies d’assurances. Il demande l’établissement d’une sécurité sociale qui garantisse à tout le monde un niveau de vie suffisant. Il demande la liberté de la presse surtout vis-à-vis des puissances d’argent. Et en effet dans les premières années après la Libération, un certain nombre de ces recommandations ont été suivies d'effets. Et puis avec le temps, avec les équilibres de forces politiques, on constate maintenant que petit a petit ce qui a été fait par une France exsangue, détruite, malheureuse, pleine des blessures de la guerre est petit a petit détruit, défait par une France qui est maintenant dix fois, vingt fois plus riche qui aurait pu continuer dans cette voie de progrès et qui ne le fait pas !
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J’ai l’impression que l’ensemble des médias est entre les mains d’un nombre très limité de gens. Et que le hasard fait, le hasard j’insiste la-dessus ! , fait que ces gens sont en même temps des grands financiers, des grands capitalistes. Quand je dis le hasard, naturellement, c’est par dérision... Il est clair que c’est à cause de leur puissance économique, de leur puissance financière, de leur poids politique aussi qui va avec, qu’ils ont pu mettre la main sur les médias, et la puissance publique a été impuissante à les en empêcher, pour autant qu’elle ait essayé de le faire, ce que je ne crois pas.
Philippe Dechartre : 8 mars 2005
Parce que bien sûr les conditions ne sont pas les mêmes, on n’est pas en 44, le monde a changé, il va vers ailleurs et il ne faut pas constamment avoir un regard en arrière, il faut avoir un regard en avant. Mais il se trouve qu’il y a des situations qui aujourd’hui rappellent les situations que nous avons vécues, dans un autre contexte, bien sûr, -ce n’est pas identique, mais c’est semblable.
Qu’est-ce qui s’est passé, qu’est ce que se passait en 44 ? Les résistants avaient une idée en tête: premièrement, c’était de chasser l’occupant du pays - quelle utopie ! Mais qui a réussi...- , c’était battre l’armée allemande, faire quelle sorte de France, libérer le territoire! C’était aussi tuer le nazisme, qu’on ne connaisse plus cet enfer cette horreur. Il fallait éradiquer ce monstre. C’était quand même les deux grands piliers de notre comportement. Mais un tel effort, un tel risque, une telle volonté, et j’allais dire soutenu par un immense espoir, c’était pour quoi en définitive ? C’était pour que les lendemains soient meilleurs que ceux que nous avions connus. C’était pour que les forces que nous avions mises dans le combat, on les mette à construire l’avenir. Non seulement pour reconstruire la France qui avait été mutilée, mais pour reconstruire l’Homme et pour lui donner sa vraie place dans la société. C’était ça, c’était un combat qui marquait, bien que nous n’étions pas simplement des existentialistes du moment, mais des hommes qui agissaient pour construire l’avenir et pour construire un avenir où l’Homme serait plus libre et serait plus heureux. Pour construire un monde nouveau.
[...]
Il y avait cette idée, cette idée importante qui était d’ailleurs une idée de De Gaulle et je le cite presque dans les termes où au cours d’une conversation il me l’a dit lui même : « Le progrès économique, bien sûr c’est nécessaire à la vie d’une nation, c’est essentiel, mais il ne faut jamais oublier que la seule finalité du progrès économique, c’est le progrès social ».
Et bien aujourd’hui, dans des conditions moins dramatiques d’aspect, d’apparence, enfin différentes dans tous les cas fondamentalement, les mêmes problèmes se posent. Il s’agit bien sûr de construire un autre monde, mais dans lequel l’individu sera libre mais en même temps l ‘Etat sera présent. De construire un monde où l’économie sera prospère mais où le social ne sera jamais négligé. Où le marché jouera son rôle et l’industrie sera libre, mais où ce qui importe à l’Etat, au contrôle de l’Etat, restera sous le contrôle de l’Etat.
Et c’est pourquoi un certain nombre d’hommes qui se sont engagés dans la résistance pour des raisons militaires d’abord, des raisons patriotiques ensuite, et pour des raisons de construction de l’avenir, retrouvent, retrouvent leur élan, retrouvent leur espoir pour dire : « Attention! Aujourd’hui les dangers sont les mêmes dans un contexte tout-à-fait différent, mais cela appelle aussi notre vigilance, notre action et notre prise de parole ». C’est le sens de ce papier que nous avons signé.
[...]
Le citoyen est en danger, - c’est Anatole France qui disait ça - , le citoyen est en danger quand l’Etat est faible. Bien entendu si on laisse la jungle prospérer, on risque de mauvaises rencontres... Il faut que l’Etat soit là pour à la fois animer, donner de l’élan et contrôler, contrôler les appétits. L’organisation est absolument nécessaire. Par exemple tout bêtement au niveau du territoire, le rôle du préfet reste un rôle essentiel parce que il est l’argument de la cohésion, de la cohésion de la nation. Il faut cela, à la fois sur le plan économique, sur le plan social, et puis sur le plan de la vie politique. Alors cela ne veut pas dire qu' il faut le « tout-Etat »! Pourquoi on en parle aujourd’hui avec crainte, de l’Etat ? C’est parce que il y a eu des idéologies millénaristes qui étaient entièrement construites sur l’absolu de l’Etat et donc qui ne faisaient pas la part de la vie, la part de l’improvisation, la part de l’espoir individuel, de la conquête individuelle du monde, qui compte aussi pour un homme, pour une société. C’est la chute du nazisme, c’est la chute du fascisme, c’est la chute du communisme, la chute des idéologies millénaristes construites uniquement sur la dictature de l’Etat qui a fait qu' aujourd’hui un certain nombre d’hommes et de femmes ont pensé que il fallait laisser aller les choses.
Et bien, laisser aller les choses ou tout concentrer dans l’Etat, c’est la même erreur. Il faut un équilibre des deux. Il faut la spontanéité, et il faut en même temps le contrôle et l’organisation.
Qu’est-ce qui s’est passé, qu’est ce que se passait en 44 ? Les résistants avaient une idée en tête: premièrement, c’était de chasser l’occupant du pays - quelle utopie ! Mais qui a réussi...- , c’était battre l’armée allemande, faire quelle sorte de France, libérer le territoire! C’était aussi tuer le nazisme, qu’on ne connaisse plus cet enfer cette horreur. Il fallait éradiquer ce monstre. C’était quand même les deux grands piliers de notre comportement. Mais un tel effort, un tel risque, une telle volonté, et j’allais dire soutenu par un immense espoir, c’était pour quoi en définitive ? C’était pour que les lendemains soient meilleurs que ceux que nous avions connus. C’était pour que les forces que nous avions mises dans le combat, on les mette à construire l’avenir. Non seulement pour reconstruire la France qui avait été mutilée, mais pour reconstruire l’Homme et pour lui donner sa vraie place dans la société. C’était ça, c’était un combat qui marquait, bien que nous n’étions pas simplement des existentialistes du moment, mais des hommes qui agissaient pour construire l’avenir et pour construire un avenir où l’Homme serait plus libre et serait plus heureux. Pour construire un monde nouveau.
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Il y avait cette idée, cette idée importante qui était d’ailleurs une idée de De Gaulle et je le cite presque dans les termes où au cours d’une conversation il me l’a dit lui même : « Le progrès économique, bien sûr c’est nécessaire à la vie d’une nation, c’est essentiel, mais il ne faut jamais oublier que la seule finalité du progrès économique, c’est le progrès social ».
Et bien aujourd’hui, dans des conditions moins dramatiques d’aspect, d’apparence, enfin différentes dans tous les cas fondamentalement, les mêmes problèmes se posent. Il s’agit bien sûr de construire un autre monde, mais dans lequel l’individu sera libre mais en même temps l ‘Etat sera présent. De construire un monde où l’économie sera prospère mais où le social ne sera jamais négligé. Où le marché jouera son rôle et l’industrie sera libre, mais où ce qui importe à l’Etat, au contrôle de l’Etat, restera sous le contrôle de l’Etat.
Et c’est pourquoi un certain nombre d’hommes qui se sont engagés dans la résistance pour des raisons militaires d’abord, des raisons patriotiques ensuite, et pour des raisons de construction de l’avenir, retrouvent, retrouvent leur élan, retrouvent leur espoir pour dire : « Attention! Aujourd’hui les dangers sont les mêmes dans un contexte tout-à-fait différent, mais cela appelle aussi notre vigilance, notre action et notre prise de parole ». C’est le sens de ce papier que nous avons signé.
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Le citoyen est en danger, - c’est Anatole France qui disait ça - , le citoyen est en danger quand l’Etat est faible. Bien entendu si on laisse la jungle prospérer, on risque de mauvaises rencontres... Il faut que l’Etat soit là pour à la fois animer, donner de l’élan et contrôler, contrôler les appétits. L’organisation est absolument nécessaire. Par exemple tout bêtement au niveau du territoire, le rôle du préfet reste un rôle essentiel parce que il est l’argument de la cohésion, de la cohésion de la nation. Il faut cela, à la fois sur le plan économique, sur le plan social, et puis sur le plan de la vie politique. Alors cela ne veut pas dire qu' il faut le « tout-Etat »! Pourquoi on en parle aujourd’hui avec crainte, de l’Etat ? C’est parce que il y a eu des idéologies millénaristes qui étaient entièrement construites sur l’absolu de l’Etat et donc qui ne faisaient pas la part de la vie, la part de l’improvisation, la part de l’espoir individuel, de la conquête individuelle du monde, qui compte aussi pour un homme, pour une société. C’est la chute du nazisme, c’est la chute du fascisme, c’est la chute du communisme, la chute des idéologies millénaristes construites uniquement sur la dictature de l’Etat qui a fait qu' aujourd’hui un certain nombre d’hommes et de femmes ont pensé que il fallait laisser aller les choses.
Et bien, laisser aller les choses ou tout concentrer dans l’Etat, c’est la même erreur. Il faut un équilibre des deux. Il faut la spontanéité, et il faut en même temps le contrôle et l’organisation.
Maurice Kriegel-Valrimont : 15 mars 2005
Le programme du Conseil National de la Résistance, en 44, 45 et même 46, a reçu dans un certain nombre de domaines, et en particulier en matière de sécurité sociale, de retraites, de législation scolaire, d’organisation des grands services publics nationalisés et sur un certain nombre d’autres points très importants, des mesures d’application réelle. Ce programme n’est pas resté un programme. Il est devenu un élément de la vie nationale. Et sur ce plan, cet aspect des choses reste dans la vie sociale de la France. La sécurité sociale est un élément constitutif des rapports sociaux français. Or de la façon la plus évidente la Sécurité Sociale est fille de la Résistance. Toute contestation sur ce point est une sottise.
Alors cela est d’autant plus important à l’heure actuelle qu’un certain nombre de ce qui a été réalisé dans les années de l’immédiate après-guerre est actuellement en voie de suppression. Toute une série des mesures qui ont été acquises à ce moment sont mises en question. Il est donc d’une actualité évidente pour les gens qui ont été dans une certaine mesure les artisans de cette transformation de la vie française, qu'ils sont évidemment concernés par la mise en cause de ce à quoi ils ont participé à l’époque.
[...]
Pascale Fourier : Mais certains pourraient vous dire : « Oui, mais il n’y a plus de sous dans les caisses de l’Etat. C’est une nécessité de sabrer la sécurité sociale, les retraites etc! » .
C’est effectivement ce que l’on dit. Seulement ce que l’on dit est d’une inexactitude hurlante si j’ose dire. Pour une raison qui tombe sous le sens et on est surpris que les gens osent le formuler de cette façon. Pour qui a connu 1944, la situation de 1944, qu’est- ce- que c’est? La plupart des ponts en France sont cassés. Les communications sont très difficiles. Les chemins de fer sont dans une situation extrêmement difficile, compliquée et à refaire. Du charbon il n’y en a guère. De l’énergie il n’y en a presque pas. Prenons ce dernier exemple: si vous comparez l’énergie disponible en 1944 et en 2005, non seulement c’est infiniment plus, c’est un énorme multiple, il n’y a littéralement pas de comparaison possible! L’énergie disponible aujourd’hui par rapport à ce qui est le lendemain de la guerre, c’est des dizaines de fois de plus d’énergie disponible! Ca veut dire que les moyens dont le pays dispose sont infiniment plus importants!
Or ce qui est vrai, c’est que, quand nous avons institué la Sécurité Sociale et toute une série d’autres mesures, il y en a qui nous ont dit : « Vous êtes fous! Le pays est dans une situation lamentable! Tout est à refaire, et pour commencer vous imposez là-dessus un élément supplémentaire de charge!ù! ». Heureusement que nous étions des très jeunes gens et nous avons bousculé ce genre d’objections!
[...]
Or quelle est la caractéristique de tout ce qu’on peut appeler des progrès dans les rapports des hommes et des femmes, - et les femmes sont concernées puisque depuis des siècles elles sont en situation maintenue d’infériorité. Qu’est-ce qui permet d’obtenir des résultats ? Qu’est-ce qui assure la réalisation de perspectives, d’espoir qui ne sont pas déçus ? Eh bien, la chose est d’une parfaite évidence! Quand les problèmes sont soustraits au débat et à l’examen, quand ils deviennent des techniques de gouvernement et qu' on oppose ce qu’on appelle « la rue » à des décisions soi-disant majoritaires, mais camouflés dans des endroits qui ne sont pas accessibles à la volonté générale, eh bien, on fait ce que l’on veut, mais ce qui n’est pas conforme à l’intérêt commun.
Or la seule correction efficace à ce phénomène, c’est le fonctionnement démocratique, c’est la participation réelle des gens concernés aux problèmes qui les concernent.
[...]
Donc l’objectif immédiat doit être de rétablir le fonctionnement démocratique réel, que ce soit en matière d’élections politiques, que ce soit en matière de fonctionnement des organisations sociales, que ce soit dans le domaine associatif en général. C’est totalement décisif ! Et de ce point de vue-là, ben, on ne peut pas fixer de dates.... Dans l’Histoire sociale et dans l’Histoire politique, la prétention au prophétisme est toujours un peu puérile.... Donc les dates ne sont pas disponibles... Mais la réalité du phénomène, en ce qui me concerne, pour les avoir vécu un certain nombre de fois, ça ne fait aucun doute! Ce qui s’est produit comme conséquence d’un certain nombre de données se produira encore! Et dans le monde, il existe des signes nombreux qui montrent que les gens ne sont pas disposés à laisser faire indéfiniment ce qui va à l’encontre de leurs intérêts évidents.
[...]
Sur ce plan je passe le relais... Je vais avoir très rapidement 91 ans, ce n’est pas à moi de le dire... J’ai le droit d’avoir une opinion la dessus, mais cela dépend des gens qui vont faire la suite. En 1944, nous avions 30 ans, et nous avons fait ce qu’il y avait à faire. Y compris sur le plan que vous évoquez. Maintenant, c’est à ceux qui ont 30 ans de le faire. Et non seulement je ne prétends pas leur dicter ce qu’ils ont à faire, d’une certaine manière je me l’interdit parce que c’est à eux que ça appartient. En ce qui me concerne je n’ai pas de doutes au sujet du fait qu’ils trouveront les solutions adéquates. Il faut se rappeler que quelques semaines avant le déclenchement des événements de 68, celui qui était à l’époque le meilleur observateur de la politique française, Viasson-Ponté, disait explicitement : « Il se passe rien, il se passe rien, il peut rien se passer ». Et quelques semaines après, vous aviez l’énorme phénomène de 68. Donc il faut se méfier des prévisions un peu trop hâtives...
Alors cela est d’autant plus important à l’heure actuelle qu’un certain nombre de ce qui a été réalisé dans les années de l’immédiate après-guerre est actuellement en voie de suppression. Toute une série des mesures qui ont été acquises à ce moment sont mises en question. Il est donc d’une actualité évidente pour les gens qui ont été dans une certaine mesure les artisans de cette transformation de la vie française, qu'ils sont évidemment concernés par la mise en cause de ce à quoi ils ont participé à l’époque.
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Pascale Fourier : Mais certains pourraient vous dire : « Oui, mais il n’y a plus de sous dans les caisses de l’Etat. C’est une nécessité de sabrer la sécurité sociale, les retraites etc! » .
C’est effectivement ce que l’on dit. Seulement ce que l’on dit est d’une inexactitude hurlante si j’ose dire. Pour une raison qui tombe sous le sens et on est surpris que les gens osent le formuler de cette façon. Pour qui a connu 1944, la situation de 1944, qu’est- ce- que c’est? La plupart des ponts en France sont cassés. Les communications sont très difficiles. Les chemins de fer sont dans une situation extrêmement difficile, compliquée et à refaire. Du charbon il n’y en a guère. De l’énergie il n’y en a presque pas. Prenons ce dernier exemple: si vous comparez l’énergie disponible en 1944 et en 2005, non seulement c’est infiniment plus, c’est un énorme multiple, il n’y a littéralement pas de comparaison possible! L’énergie disponible aujourd’hui par rapport à ce qui est le lendemain de la guerre, c’est des dizaines de fois de plus d’énergie disponible! Ca veut dire que les moyens dont le pays dispose sont infiniment plus importants!
Or ce qui est vrai, c’est que, quand nous avons institué la Sécurité Sociale et toute une série d’autres mesures, il y en a qui nous ont dit : « Vous êtes fous! Le pays est dans une situation lamentable! Tout est à refaire, et pour commencer vous imposez là-dessus un élément supplémentaire de charge!ù! ». Heureusement que nous étions des très jeunes gens et nous avons bousculé ce genre d’objections!
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Or quelle est la caractéristique de tout ce qu’on peut appeler des progrès dans les rapports des hommes et des femmes, - et les femmes sont concernées puisque depuis des siècles elles sont en situation maintenue d’infériorité. Qu’est-ce qui permet d’obtenir des résultats ? Qu’est-ce qui assure la réalisation de perspectives, d’espoir qui ne sont pas déçus ? Eh bien, la chose est d’une parfaite évidence! Quand les problèmes sont soustraits au débat et à l’examen, quand ils deviennent des techniques de gouvernement et qu' on oppose ce qu’on appelle « la rue » à des décisions soi-disant majoritaires, mais camouflés dans des endroits qui ne sont pas accessibles à la volonté générale, eh bien, on fait ce que l’on veut, mais ce qui n’est pas conforme à l’intérêt commun.
Or la seule correction efficace à ce phénomène, c’est le fonctionnement démocratique, c’est la participation réelle des gens concernés aux problèmes qui les concernent.
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Donc l’objectif immédiat doit être de rétablir le fonctionnement démocratique réel, que ce soit en matière d’élections politiques, que ce soit en matière de fonctionnement des organisations sociales, que ce soit dans le domaine associatif en général. C’est totalement décisif ! Et de ce point de vue-là, ben, on ne peut pas fixer de dates.... Dans l’Histoire sociale et dans l’Histoire politique, la prétention au prophétisme est toujours un peu puérile.... Donc les dates ne sont pas disponibles... Mais la réalité du phénomène, en ce qui me concerne, pour les avoir vécu un certain nombre de fois, ça ne fait aucun doute! Ce qui s’est produit comme conséquence d’un certain nombre de données se produira encore! Et dans le monde, il existe des signes nombreux qui montrent que les gens ne sont pas disposés à laisser faire indéfiniment ce qui va à l’encontre de leurs intérêts évidents.
[...]
Sur ce plan je passe le relais... Je vais avoir très rapidement 91 ans, ce n’est pas à moi de le dire... J’ai le droit d’avoir une opinion la dessus, mais cela dépend des gens qui vont faire la suite. En 1944, nous avions 30 ans, et nous avons fait ce qu’il y avait à faire. Y compris sur le plan que vous évoquez. Maintenant, c’est à ceux qui ont 30 ans de le faire. Et non seulement je ne prétends pas leur dicter ce qu’ils ont à faire, d’une certaine manière je me l’interdit parce que c’est à eux que ça appartient. En ce qui me concerne je n’ai pas de doutes au sujet du fait qu’ils trouveront les solutions adéquates. Il faut se rappeler que quelques semaines avant le déclenchement des événements de 68, celui qui était à l’époque le meilleur observateur de la politique française, Viasson-Ponté, disait explicitement : « Il se passe rien, il se passe rien, il peut rien se passer ». Et quelques semaines après, vous aviez l’énorme phénomène de 68. Donc il faut se méfier des prévisions un peu trop hâtives...
Stéphane Hessel : 22 mars 2005
[...] nous nous trouvons aujourd’hui à un moment important, dramatique presque, de la globalisation, de la mondialisation, de la victoire des formes et forces d’économie libérale. Et le souvenir que vous avions, c’est qu’en 1944, nous étions convaincus que la France qui surgirait, sortirait de la guerre et de la Libération, devait être exemplaire sur un certain nombres de points qui se situaient exactement à l’inverse, à l’opposé, de ce qu’avait été Vichy, et à plus forte raison ce qu’avait été l’Allemagne nazie ou l’Italie fasciste ou l’Espagne franciste. Il y avait des valeurs auxquelles nous tenions à l’époque. Et nous avions le sentiment que si ces valeurs n’étaient pas assez clairement affirmées, nous risquions d’avoir une France qui ressemblerait à la 3ème République, au mieux, et pis encore, qui aurait des traits hérités de Vichy.
[...]
Ces valeurs sont relativement simples à définir. Elles consistent à ce que le citoyen joue un rôle décisif dans la construction de l’Etat. C’est ce que nous avons appelé et ce que nous appelons la Démocratie. Mais la démocratie réelle ne peut l’être que si les citoyens sont attachés à leur liberté, à leur possibilité de défendre leurs intérêts de citoyen, à la dignité de la personne humaine et aux droits qui y sont attachés. Tout cela, il faut le défendre contre des risques. Ces risques existent. Nous les avons connus pendant la guerre. C’étaient les risques du fascisme et du nazisme. Ce sont aussi aujourd’hui les risques d’une civilisation, d’une société exagérément dépendante des forces économiques, de ce nous avons appelé à l’époque « les féodalités économiques ». C’est contre cela que la Démocratie doit défendre ces propres valeurs : les valeurs sociales, les valeurs culturelles.
[...]
Nous avons voulu alerter nos concitoyens en leur disant : « Il y a 60 ans, c’est ça que nous voulions, et c’est ça que vous avez essayé d’obtenir. Et aujourd’hui c’est en danger. Tout cela est en danger ». La Sécurité sociale est en danger. Les retraites sont en danger. L’Education nationale pour tous, la Recherche, sont en danger. La presse … Prenons la presse… C’est scandaleux la façon dont la presse et les médias, en France, retombent constamment entre les mains des puissances d’argent, ou de ce que nous avons appelé à l’époque des « féodalités économiques ». C’est contre cela qu’il faut essayer de réagir. C’est naturellement le programme des partis de gauche en France de réagir. Mais il faut les soutenir, et il faut leur donner l’ambition de devenir aujourd’hui aussi persuasifs dans leur programme que l’ont été nos camarades du temps du Conseil National. Et n’oublions pas qu’à l’époque, ils vivaient dans la clandestinité. Ils couraient des risques. Aujourd’hui on ne court aucun risque. On peut affirmer ces valeurs. Et il faut les affirmer. Et il faut lutter pour qu’elles se transforment dans une action concrète.
[...]
Et nous n’avons pas le droit de dire que c’est difficile à défendre aujourd’hui, alors que ça aurait été plus facile jadis. Nous avons noté, dans cet appel, qu’à l’époque où nous proclamions ces valeurs, l’Europe était par terre, l’Europe était défaite, elle était pauvre. Aujourd’hui elle est riche. Elle est donc tout à fait capable de défendre ces valeurs. Il suffit de le vouloir, et il suffit de s’organiser entre européens.
[...]
Je pense que c’est la force de cet appel dont nous parlons de précisément rappeler ces valeurs qui restent aujourd’hui aussi importantes à défendre qu’à l’époque. N’oublions pas d’ailleurs qu’à l’époque que vous évoquez, 40 et la suivante, une grande majorité des Français avaient accepté Pétain, Vichy, un régime qui était un régime réactionnaire qui faisait toute la place aux forces économiques et aucune place à la démocratie et aux forces sociales.
[...]
Moi qui circule beaucoup en Europe, je rencontre partout des jeunes et des associations qui veulent une Europe sociale, une Europe énergique, une Europe qui se défend contre les dangers de la mondialisation libérale. Ces dangers, ils existent, et ils faut les combattre avec la même énergie et la même confiance que nous avons jadis combattu les armées allemandes et l’occupation de notre pays.
[...]
Ces valeurs sont relativement simples à définir. Elles consistent à ce que le citoyen joue un rôle décisif dans la construction de l’Etat. C’est ce que nous avons appelé et ce que nous appelons la Démocratie. Mais la démocratie réelle ne peut l’être que si les citoyens sont attachés à leur liberté, à leur possibilité de défendre leurs intérêts de citoyen, à la dignité de la personne humaine et aux droits qui y sont attachés. Tout cela, il faut le défendre contre des risques. Ces risques existent. Nous les avons connus pendant la guerre. C’étaient les risques du fascisme et du nazisme. Ce sont aussi aujourd’hui les risques d’une civilisation, d’une société exagérément dépendante des forces économiques, de ce nous avons appelé à l’époque « les féodalités économiques ». C’est contre cela que la Démocratie doit défendre ces propres valeurs : les valeurs sociales, les valeurs culturelles.
[...]
Nous avons voulu alerter nos concitoyens en leur disant : « Il y a 60 ans, c’est ça que nous voulions, et c’est ça que vous avez essayé d’obtenir. Et aujourd’hui c’est en danger. Tout cela est en danger ». La Sécurité sociale est en danger. Les retraites sont en danger. L’Education nationale pour tous, la Recherche, sont en danger. La presse … Prenons la presse… C’est scandaleux la façon dont la presse et les médias, en France, retombent constamment entre les mains des puissances d’argent, ou de ce que nous avons appelé à l’époque des « féodalités économiques ». C’est contre cela qu’il faut essayer de réagir. C’est naturellement le programme des partis de gauche en France de réagir. Mais il faut les soutenir, et il faut leur donner l’ambition de devenir aujourd’hui aussi persuasifs dans leur programme que l’ont été nos camarades du temps du Conseil National. Et n’oublions pas qu’à l’époque, ils vivaient dans la clandestinité. Ils couraient des risques. Aujourd’hui on ne court aucun risque. On peut affirmer ces valeurs. Et il faut les affirmer. Et il faut lutter pour qu’elles se transforment dans une action concrète.
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Et nous n’avons pas le droit de dire que c’est difficile à défendre aujourd’hui, alors que ça aurait été plus facile jadis. Nous avons noté, dans cet appel, qu’à l’époque où nous proclamions ces valeurs, l’Europe était par terre, l’Europe était défaite, elle était pauvre. Aujourd’hui elle est riche. Elle est donc tout à fait capable de défendre ces valeurs. Il suffit de le vouloir, et il suffit de s’organiser entre européens.
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Je pense que c’est la force de cet appel dont nous parlons de précisément rappeler ces valeurs qui restent aujourd’hui aussi importantes à défendre qu’à l’époque. N’oublions pas d’ailleurs qu’à l’époque que vous évoquez, 40 et la suivante, une grande majorité des Français avaient accepté Pétain, Vichy, un régime qui était un régime réactionnaire qui faisait toute la place aux forces économiques et aucune place à la démocratie et aux forces sociales.
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Moi qui circule beaucoup en Europe, je rencontre partout des jeunes et des associations qui veulent une Europe sociale, une Europe énergique, une Europe qui se défend contre les dangers de la mondialisation libérale. Ces dangers, ils existent, et ils faut les combattre avec la même énergie et la même confiance que nous avons jadis combattu les armées allemandes et l’occupation de notre pays.
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Pourquoi est-ce si important de rappeler tout ça aujourd'hui ?
Parce que rien n'est jamais définitivement acquis, et parce qu'il semble bien que nous soyons condamnés à perdre ce que nous ne sommes pas prêts à défendre. C'est vrai pour tout, y compris pour l'héritage du Programme du Conseil National de la Résistance.
La politique économique et sociale de Nicolas Sarkozy est axée vers la destruction méthodique de tous les progrès sociaux obtenus par le Programme du CNR, l'héritage de la Résistance. C'est bel et bien cet objectif qui constitue le fil conducteur de sa politique économique et sociale, et qui lui donne toute sa cohérence.
Ce n'est pas moi qui le dis : ce sont Denis Kessler et Charles Beigbeder qui s'en félicitent !
Un article du Canard Enchaîné du 06 février dernier, repris (entre autres) sur ContreInfo et sur lucky-blog, nous rappelle l'info :
Kessler et Beigbeder semblent donc totalement décomplexés. La prochaine édition du dictionnaire des synonymes de la Novlangue consacrera indubitablement le rapprochement entre les mots "réforme" et "régression". Le mot "progrès" quant à lui a été définitivement rayé de la langue.
Il y a tout de même un tout petit truc qu'il convient de rappeler : la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale (Article 1er - Constitution de 1958).
Décomplexés ou non, il y a une chose que Nicolas Sarkozy et ses sbires doivent comprendre : il est des ruptures qui sont des trahisons.
4 commentaires:
Les mots qu'avaient choisi ces anciens résistants; lorsqu'ils avaient lancé leur appel "Créer, c'est résister. Résister, c'est créer", à l'occasion de la commémoration du 60ème anniversaire du programme de la CNR; font effectivement écho avec nombre de nos réalités...
Excellent billet qui pointe la nécessité de "revenir aux fondamentaux".
Chacun les siens... ;-)
Un grand merci pour ce billet.
Et dire que Mr Sarkozy a le culot de faire l'apologie des résistants et de se réclamer de De Gaulle...
Tout d'accord avec les collègues : très bon billet, qui a le mérite de montrer combien l'héritage de la résistance était marqué du sceau du combat social.
(Et à propos de Sarko se réclamant de De Gaulle, on n'a pas fini d'en manger : j'ai lu quelque part que le petit monier comptait en balancer un max cette année.)
Merci pour vos commentaires sympas :)
Je ne vous le dis pas à tous les coups, parce que ça deviendrait vite répétitif : je trouve que vous faites également tous les trois du très bon boulot sur vos blogs respectifs, que je lis assiduement et dont je m'inspire régulièrement.
Les blogs estampillés "Vigilants", et plein plein d'autres, offrent un réel complément d'infos pour qui sait se montrer un peu curieux et ouvert d'esprit.
Mais malgré tout, je pense que c'est insuffisant. Sans un objectif clair, je crois que nous sommes condamnés à subir en comptant les mauvais coups.
Je n'en dis pas plus pour l'instant, je développerai cette idée dans mon prochain billet, qui mûrit depuis plusieurs semaines, et qui est quasiment terminé.
Je posterai ça prochainement, probablement demain soir.
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