samedi 9 juin 2007

Garder un oeil sur : la prédisposition génétique à la délinquance



Sarkozy élu, il y a un certain nombre de questions sur lesquelles il faut garder un oeil attentif.


Je vous rappelle la citation de Sarkozy, rapportée par Michel Onfray dans Philosophie Magazine :

J’inclinerais pour ma part à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie-là. Il y a 1200 ou 1300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que génétiquement ils avaient une fragilité, une douleur préalable. Prenez les fumeurs : certains développent un cancer, d’autres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique héréditaire. Les circonstances ne font pas tout, la part de l’inné est immense ».


Bigre !  Cette prise de position fait froid dans le dos, en particulier dans un contexte dans lequel l'INSERM préconise la mise en place de tests de dépistage de la délinquance dès l'âge de 3 ans en classe de maternelle (j'y reviens à la fin de ce billet).

Voila qui flaire bon la résurgence des idées du XIXème siècle sur les recherches destinées à établir un profil de criminel. Parler de "prédisposition génétique à la pédophilie", parler de "dépistage de la délinquance en classe de maternelle", ça rappelle tristement les théories de Cesare Lumbroso sur le caractère inné de la criminalité.

Je vous renvoie également à l’article de Gabriel Tarde de 1885 :
En revanche, il paraît certain que les malfaiteurs ont le front fuyant, étroit et plissé, les arcades sourcilières saillantes, les cavités oculaires très grandes, comme celles des oiseaux de proie, les mâchoires avancées et très fortes, les oreilles écartées et larges, en anse: ce sont là des traits bien nets de sauvagerie.

De "faciès de criminel" à "gènes de criminel", la frontière est ténue.


Les critiques ont été nombreuses, en particulier dans les médias indépendants. Par exemple :



Michel Onfray revient sur son entrevue avec Sarkozy dans son blog :

Il y révèle d'autres déclarations assez édifiantes de Nicolas Sarkozy :
Dans la conversation, il confie qu’il n’a jamais rien entendu d’aussi absurde que la phrase de Socrate «  Connais-toi toi-même ». Cet aveu me glace – pour lui. Et pour ce qu’il dit ainsi de lui en affirmant pareille chose. Cet homme tient donc pour vain, nul, impossible la connaissance de soi ? Autrement dit, cet aspirant à la conduite des destinées de la nation française croit qu’un savoir sur soi est une entreprise vaine ? Je tremble à l’idée que, de fait, les fragilités psychiques au plus haut sommet de l’Etat, puissent gouverner celui qui règne !




Victime (consentante) de la mauvaise influence de Luc, j'ai acheté le numéro du mois dernier de Philosophie Magazine. Comme quoi, c'était bien vrai : Sarkozy élu, tout devient possible !
Dans ce numéro, ils consacrent une double page pour revenir sur cette question. J'aime bien les pincettes qu'ils prennent :
Ne pouvant, à l'heure où nous terminons ce numéro, prévoir les conséquences de la polémique sur le plan politique, il nous a semblé nécessaire de trancher, du moins d'éclairer le débat sur un plan scientifique.

En effet, il était légitime de penser qu'à la suite de tels propos, Sarkozy allait politiquement se retrouver en très grande difficulté. Dans une société dans laquelle les médias ne lachent pas le morceau et qui exigent des hommes politiques qu'ils assument leurs propos, Nicolas Sarkozy aurait été bien mal en point à quelques semaines des élections présidentielles. Acculé, contraint de devoir justifier ses affirmations injustifiables, ce dérapage aurait pu (et aurait sans doute même du) amener ses électeurs à s'interroger sur la nature des convictions de leur leader.

Mais heureusement pour Nicolas Sarkozy, dans notre sociéte médiatiquement modifiée, de tels écarts idéologiques ne constituent pas un trouble majeur. Tout juste un gentil petit "buzz", qui ne l'a en aucune manière empêché de devenir président. Et même au contraire. Par un formidable retournement de situation, l'armada médiatique à nous a mis en garde contre la stratégie de diabolisation dont il serait victime. Exiger qu'il justifie ses propos, demander qu'on fasse le bilan de son action au gouvernement au cours de 5 années écoulées, critiquer sa méthode ou ses idées, c'est faire de la diabolisation.
Mettre en avant ses propos scandaleux sur la prédisposition génétique à la délinquance et exiger qu'il assume les conséquences de ce qui aurait du être son suicide politique, c'est également tombé dans cette catégorie : la diabolisation. Evidemment...


L'avis de Pierre-Henri Gouyon (biologiste) est sans appel :
S'il s'agit de faire des gènes la cause de comportements déviants, en lieu et place de leurs origines sociale, familiale et historique, la question est absurde. Non pas parce que l'environnement, la culture seraient plus déterminants que les gènes. Mais parce que les gènes ne peuvent pas être dissociés de l'environnement et ne déterminent rien en dehors d'un environnement. Chaque individu est le produit d'un génotype et d'un environnement unique.



Sur le site de Philosophie Magazine, on trouve une interview d'Henri Atlan, dont voici quelque extraits :
On a cru autrefois, aux débuts de la génétique moléculaire, qu'un gène causait de façon totale et linéaire un caractère, suivant le schéma “un gène → une enzyme (une protéine) → un caractère“. Et cette idée, du fait de sa simplicité, a encore la vie dure alors qu'on sait depuis plusieurs dizaines d'années qu'elle est fausse.

[...]

La sempiternelle question de l'inné et de l'acquis est une source sans cesse renouvelée de faux problèmes et de malentendus. Ce furent des scientifiques de haut niveau, relayés par les media, qui ont annoncé que toutes les maladies seraient guéries grâce au projet génome humaine, y compris les pathologies sociales comme la criminalité et même la pauvreté. Les choses ont changé, comme je vous l'ai dit, en partie grâce aux résultats inattendus de ce projet. Et il est généralement admis que des facteurs d'environnement sont associés aux déterminismes génétiques et c'est évidemment un progrès par rapport au réductionnisme du même nom.

[...]

Deux vrais jumeaux – qui ont donc les mêmes gènes – ont des systèmes nerveux, et aussi des propriétés d'autres systèmes, comme le système immunitaire par exemple, différents car les phénomènes épigénétiques, d'auto-organisation et autres, qui comportent une part importante de hasard, jouent un rôle déterminant dans leur développement, depuis l'embryon et pendant toute la vie. Ceci prive souvent de sens la question même du déterminisme génétique – c'est-à-dire moléculaire – d'un fonctionnement cérébral aussi complexe que ce qu'on appelle un "comportement".

[...]

On englobe dans un même mot, par exemple, violence, criminalité, des comportements en fait très différents les uns des autres. Un auteur d'attentat suicide, un dictateur sanglant, un auteur de hold-up, un tueur en série, un violeur, un homme qui bat sa femme (ou l'inverse) sont "agressifs" ou "violents", éventuellement des criminels dont les comportements sont en fait dépendants d'ensembles de conditionnements sociaux très différents, ce qui ne diminue pas, rappelons-le, leur responsabilité indépendamment de ce qui leur reste de libre arbitre, éventuellement réduit à zéro. Parler ainsi de gènes de la violence ou de  la criminalité n'a tout simplement aucun sens parce que l'effet dont on incrimine une cause n'est pas défini de façon univoque.

[...]

Tant que des biologistes continueront à répéter avec l'aide de media, que les gènes sont ce qui nous définit – la référence aux empreintes génétiques renforce cette idée reçue, mais c'est comme si on disait que nos empreintes digitales, encore plus individualisées puisque différentes chez des vrais jumeaux, nous définissent –, et que la connaissance des gènes permettra de prévenir toutes les maladies, on ne doit pas s'étonner de déclarations intempestives de politiques qui les reprennent à leur compte.





Je l'ai dit plus haut, les propos de Nicolas Sarkozy semblent cohérents avec le rapport de 2005 de l'INSERM (Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale) qui préconise la mise en place de mesures de dépistage de la délinquance dès l'âge de 3 ans.

Cette proposition a provoqué un tollé chez les professionnels de la petite enfance, voir par exemple un article de RFI :
S’ils ne récusent pas l’aide que peut apporter une prise en charge éducative, psychologique et sociale lorsqu’un enfant présente des troubles du comportement, les signataires de la pétition appartenant aux professionnels de la petite enfance, pédopsychiatres en tête, s’insurgent en revanche contre toute équation qui pourrait être établie entre petit enfant (désobéissant, colérique, ou en difficulté relationnelle) et adolescent délinquant potentiel. Ils dénoncent en outre les propositions qui sont faites, dans le rapport, d’un recours aux traitements médicamenteux si les thérapies cognitivo-comportementales ne s’avèrent pas efficaces.


L'article mentionne également une pétition sur internet, qui compte aujourd'hui près de 200'000 signatures, dont bientôt la votre :


La mobilisation a eu un effet positif, puisqu'en février dernier le CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique) a rendu un avis critique :
Le CCNE note que le rapport de l’INSERM tend à « confondre facteur de risque et causalité » et qu’il privilégie l’inné (facteurs génétiques, etc.) aux dépens de l’acquis (environnement social, culturel, éducatif, etc.). Le CCNE s’oppose à l’idée qu’il pourrait exister un lien prédictif entre les troubles du comportement du très jeune enfant et les conduites délinquantes à l’adolescence. Il souligne d’autre part les risques de stigmatisation que comporterait un tel dépistage.


Cette idée semble donc écartée pour l'instant. Mais c'est l'un des nombreux sujets sur lesquels il faudra rester vigilants.


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