Le Document
Aujourd'hui on va jouer aux rats de bibliothèques, et on va aller jeter un coup d'oeil dans les archives.
On a du mal avec l'idée qu'un gouvernement puisse planifier, orchestrer, et exécuter des attentats terroristes contre ses propres citoyens dans le but de les forcer à accepter un calendrier politique pré-établi. Ca semble trop gros. Même les gens qui se veulent extrêmement cyniques et qui se la jouent totalement désabusés, ont en général énormément de mal à admettre sérieusement cette possibilité.
Pourtant le concept "Problème/Réaction/Solution" est relativement simple : plutôt que d'imposer par la force une idée qui devrait de toute évidence rencontrer une opposition trop vigoureuse, je commence par créer une situation de crise de toutes pièces. Puis je canalise la réaction engendrée par cette crise. Et enfin en guise de solution incontournable à la résolution du problème, je propose l'idée qui aurait été refusée au départ.
On a souvent tendance à tenir le raisonnement suivant :
Qu'une certaine partie de la classe politique soit plus ou moins verreuse, plus ou moins magouilleuse, bon ok c'est un fait. Mais de là à imaginer que certains d'entre eux pourraient perpétrer des attentats contre nous (nous les gentils bisounours innocents), il faut pas déconner !!
A l'extrême limite, dans des pays vaguement sous-dev-en-voie-d-émergence, peut être. Mais voyons, pas chez nous, pas dans une démocratie !!! Et puis, s'il y avait de bonnes raisons de croire à ce genre de choses, ça se saurait !
Ce "ça se saurait" est l'argument le plus débile qui soit... En fait ça se sait. Ou plutôt ça devrait se savoir.
Je vous propose de lire le Document Northwoods. Il s'agit d'un document de 1962 qui est resté classé top-secret pendant plus de 35 ans. Déclassifié à la fin des années 90, il a ete mis en ligne début 2001 au National Security Archive sur le site de l'Université Georges Washington :
C'est un document signé par Lyman Lemnitzer, qui occupait les responsabilités de Chef d'Etat-Major Interarmés des Etats-Unis sous la présidence de Kennedy. Le document fixe les grandes lignes d'une campagne de terrorisme sur le territoire américain dans le but de créer un prétexte en vue d'une intervention militaire contre le régime cubain de Castro.
Ce document est parvenu jusque sur le bureau de Robert McNamara (Ministre de la Défense) pour approbation. Kennedy s'est opposé au plan et a fait limoger Lemnitzer. Ce plan tordu n'a donc pas été mis en pratique, mais le document reste un témoignage historique capital : il donne une idée assez précise de l'état d'esprit dans lequel sont planifiées des opérations paramilitaires, qui pourraient tout à fait être validées par un dirigeant plus soucieux d'éviter de se mettre les militaires à dos que ne l'était Kennedy en son temps.
Extraits
En voici quelques extraits bien gratinés :
Subject : Justification for US Military Intervention in Cuba.
[...]
World opinion, and the United Nations forum should be favorably affected by developing the international image of the Cuban government as rash and irresponsible, and as an alarming and unpredictable threat to the peace of the Western Hemisphere.
[...]
Such a plan would enable a logical build-up of incidents to be combined with other seemingly unrelated events to camouflage the ultimate objective and create the necessary impression of Cuban rashness and irresponsibility on a large scale, directed at other countries as well as the United States. The plan would also properly integrate and time phase the courses of action to be pursued. The desired resultant from the execution of this plan would be to place the United States in the apparent position of suffering defensible grievances from a rash and irresponsible government of Cuba and to develop an international image of Cuban threat to peace in the Western Hemisphere.
[...]
Inasmuch as the ultimate objective is overt military intervention, it is recommended that primary responsibility for developing military and para-military aspects of the plan for both overt and covert military operations be assigned the Joint Chiefs of Staff.
[...]
Such a plan would permit the evaluation of individual projects within the context of cumulative, correlated actions designed to lead inexorably to the objective of adequate justification for US military intervention in Cuba
[...]
Casuality in the newspapers would cause a helpful wave of national indignation
[...]
We could develop a Communist Cuban terror campaign in the Miami area, in other Florida cities and even in Washington.
[...]
Exploding a few plastic bombs in carefully chosen spots, the arrest of Cuban agents and the release of prepared documents substantiating Cuban involvement also would be helpful in projecting the idea of an irresponsible government.
[etc etc.]
Il y a plein d'autres idées : de vrais faux attentats avec de fausses victimes et de fausses cérémonies de deuil, de vrais attentats avec des vraies victimes du vrai sang et des vraies larmes, des bombardements au mortier par de vrais faux méchants barbouzes, des incendies, des sabotages, des fausses tentatives de détournement d'avions, des avions maquillés en MIGs... Bref, tout ce qu'il faut.
Autres sources
Pour ceux qui veulent en savoir un peu plus, en français :
Pour ceux qui veulent en savoir un peu plus, en anglais (dossier mieux documenté) :
Pour ceux qui ont vraiment du mal à se passer de la video en toutes circonstances :
Quelles leçons tirer de tout ça ?
S'il ne devait y en avoir qu'une, à mon avis ce serait la suivante : lorsqu'un attentat se produit, ce serait une grave erreur que d'écarter a priori l'hypothèse selon laquelle cet acte terroriste aurait pu être commis par un gouvernement contre ses propres citoyens, dans le but de les contraindre à accepter un calendrier politique pré-établi. On ne peut pas écarter cette hypothèse d'un revers de main, simplement sous prétexte qu'elle perturbe trop notre vision du monde ou notre échelle de valeurs. Cette hypothèse doit être analysée et doit être explorée avec le même sérieux et la même rigueur que toutes les autres.
Par ailleurs, dans un contexte international de "guerre contre le terrorisme" ("War on terror"), il convient d'être un tout petit peu vigilant vis à vis de ceux qui font de leur principal cheval de bataille l'idée "d'assurer notre sécurité" à tout prix. Car c'est sans aucun doute ceux-là même qui auraient le plus à gagner à voir se développer chez nous "a helpful wave of national indignation".
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