mercredi 13 février 2008

Nicolas Sarkozy part en croisade contre la laïcité



Le discours du Président de la République prononcé au Palais de Latran le 20 décembre dernier ne constitue pas son premier coup de boutoir à l'encontre de la laïcité. Et même s'il a à juste titre provoqué un tollé, ce n'est sans doute pas la dernière attaque de Nicolas Sarkozy pour remettre en cause la loi de 1905.

On se souvient du rapport Machelon, commandé par le Ministre de l'Intérieur (Nicolas Sarkozy) le 20 octobre 2005, et qui lui a été remis le 20 septembre 2006. Un rapport critiqué qui avait provoqué une levée de boucliers de la part de 16 députés, toutes tendances confondues, dans un communiqué de presse du 26 octobre 2006.




Au sujet du discours de Latran, j'ai vu passer pas mal d'articles intéressants. Si je devais retenir 3 sources, ce serait ces trois là :



1) Sur le ton de l'humour, un article de Sébastien Fontenelle sur Vive le Feu : Nicolas Sarkozy est Le Roi De La Caillasse !!





2) Plus sérieusement, à lire absolument, la série de 8 articles de Françoise sur REPVBLICÆ, à qui j'emprunte l'illustration suivante :



© F.



Un travail tout à fait remarquable, truffé de sources et de références historiques, qui démolit point par point le discours de Nicolas Sarkozy. Lorsque je suis tombé dessus, la série était déjà terminée. Je me suis enfilé les 8 articles d'une traite. Vous pouvez les consulter ici :






3) Autre travail très intéressant, celui de Jean-Luc Mélenchon, Sénateur de l'Essonne.

Le document est disponible en ligne au format PDF.


Il y a trois points en particulier sur lesquels il semble important d'insister :
  • Je cite : [...] Tant que le président cite des écrivains et des gens d'églises, il est dans son rôle d'évocation de la participation des Français à une histoire religieuse qui a beaucoup compté pour eux. Mais quand ces évocations portent sur des personnages politiques il en va tout autrement. Notamment quand il s'agit d'évocation de personnages d'ancien régime. Entre l'ancien régime et la République, c'est la rupture qui fait sens, et non l'apparente impression de continuité que donnent la permanence des lieux et la suite des générations. La rupture est celles des principes, des valeurs, des mobiles d'action, des objectifs. Se référer à une histoire commune avec l'ancien régime pour un gouvernant républicain, c'est prendre le risque permanent du contre sens politique.
  • Le concept de "Laïcité positive" n'est pas de Sarkozy. Ce sont les mots de Benoît XVI. Les propos du Président de la République Française (La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale - Constitution de 1958), sont dans la droite ligne de la vision papale de la place de la religion dans la société.
  • Et troisième point, Jean-Luc Mélenchon ne se contente pas d'une approche strictement franco-française. Il analyse les discours de Latran et de Ryad à lumière de l'idéologie du "choc des civilisations", et évalue les prises de position de Nicolas Sarkozy d'un point de vue géopolitique. Il rappelle au passage les propos tenus par Nicolas Sarkozy devant la conférence des ambassadeurs de France le 27 août dernier. Cette réflexion apporte un éclairage pertinent.




Dans la suite de ce billet, je cite quelques morceaux choisis du document de Jean-Luc Mélenchon :



En France, la laïcité de l'Etat est une question sensible. Notre pays a connu trois siècles de guerre civile religieuse, ouverte ou larvée. Les principaux courants qui en ont été protagonistes sont toujours présents et actifs. L'instauration de la laïcité comme principe organisateur et pacificateur de notre république est le résultat de cette histoire. Depuis la loi fondatrice de 1905 instituant la séparation des églises et de l'Etat, le débat a été ouvert à de nombreuses reprises sous des formes diverses et les citoyens s'y sont toujours engagés avec conviction. Le discours du président de la république, par la radicalité de sa rupture avec les principes constants de la République sur ce sujet, semble devoir ouvrir une nouvelle période de confrontation.


[...]


Ce discours ne doit pas être lu comme l'expression de la sensibilité personnelle de Nicolas Sarkozy en matière religieuse. Certes, le président est, selon ses propres termes, un « catholique de tradition et de cœur ». Personne ne lui en fait grief. C'est une conviction qui relève de la sphère privée. Au demeurant il n'est pas le premier président de la république française à être croyant et pratiquant.
Le discours du président de la République devant le chapitre de saint jean de Latran, est une parole officielle prononcée au nom de la République française. C'est celle du président de la République es qualité, représentant tous ses concitoyens français, au moment où il accepte d'endosser une fonction honorifique liée par tradition folklorique à sa charge, celle de chanoine de Latran, paroisse de l'Etat du Vatican dans la ville de Rome. Sur le moment, puis à la suite de son allocution, le président a souligné à diverses occasions l'importance particulière de ce discours. Il s'agit bien d'une définition des principes et de la vision auxquels il entend se référer à propos de la place du fait religieux dans la vie des sociétés modernes en général et de la religion catholique en France en particulier. Les discours qu'il a ensuite prononcés à Ryad en Arabie saoudite, puis pour ses vœux devant le corps diplomatique ou à l'occasion de la réception des chefs religieux à l'Elysée ont confirmé l'importance du discours de Latran dans la définition de la politique que veut conduire le chef de l'Etat. Il existe ainsi une sorte de continuité entre ses différentes expressions qui se complètent de façon assumée. Elles dessinent un tableau d'ensemble. Il se fonde sur une analyse du rapport de la société humaine au fait religieux.



[...]


On doit s'attarder un peu sur le recours à l'histoire profonde du pays pour comprendre que l'exercice n'est pas neutre en lui-même. Tant que le président cite des écrivains et des gens d'églises, il est dans son rôle d'évocation de la participation des Français à une histoire religieuse qui a beaucoup compté pour eux. Mais quand ces évocations portent sur des personnages politiques il en va tout autrement. Notamment quand il s'agit d'évocation de personnages d'ancien régime. Entre l'ancien régime et la République, c'est la rupture qui fait sens, et non l'apparente impression de continuité que donnent la permanence des lieux et la suite des générations. La rupture est celles des principes, des valeurs, des mobiles d'action, des objectifs. Se référer à une histoire commune avec l'ancien régime pour un gouvernant républicain, c'est prendre le risque permanent du contre sens politique. Sans aucun doute le président ne le sait pas. Peut-être n'y a-t-il jamais réfléchi. Il n'empêche. La Référence à Louis IX, canonisé par l'église et connu sous le nom de « saint Louis » est particulièrement malheureuse. On comprend qu'il s'agit de montrer que le pouvoir lui-même en France a été si près du catholicisme qu'il a été reconnu par lui comme figure exemplaire de ses propres valeurs. C'est d'ailleurs un classique des admonestations des papes à tous les souverains français avec qui ils ont été en conflit : citer comme contre modèle « saint louis » leur ancêtre ! Le président veut donc en saluer la « contribution spirituelle » et la « signification morale de portée universelle ». Rien n'est plus discutable. Les raisons qui ont valu au roi Louis IX d'être canonisé par l'église et l'expression de sa piété dans ses décisions politiques ne méritent pas l'hommage d'un républicain. Et peu nombreux sont ceux qui voudraient s'en réclamer s'ils ne s'arrêtaient pas à la légende aimable du roi rendant la justice sous son chêne. En effet le roi Louis IX (1214-1270) fut l'initiateur des boucheries et du fiasco de la 7ème (1248-1254) et de la 8ème croisades (1270). Il s'illustra surtout dans des persécutions sans précédent contre les hérétiques et les juifs. C'est ainsi qu'il institutionnalisa une répression féroce du blasphème par le supplice du pilori et du percement de la langue au fer rouge. En 1242, il soutient une controverse théologique contre le Talmud et ordonne un autodafé de Talmuds à Paris. En 1254, il bannit de France les Juifs qui refusent la conversion. Le succès n'ayant pas été total, il revient à la charge en 1269 pour instaurer le port par les Juifs de signes vestimentaires distinctifs : la rouelle pour les hommes et un bonnet spécial pour les femmes. Le but, annoncé publiquement à l'époque, est de prévenir tout risque de mariage mixte en application d'une recommandation papale de 1215 qui n'avait jamais été appliquée jusqu'alors en France. On voit que le maniement des références et des symboles d'osmose avec la papauté comporte le risque de prendre à son compte une histoire et des préoccupations qui sont précisément ce avec quoi la laïcité de l'Etat Républicain a voulu rompre. Le discernement serait tout aussi utile quand il s'agit d'évoquer une sainte figure comme celle de Bernard de Clairvaux (1090-1153) grand prédicateur de la 2ème croisade (1147-1149) qui s'était alors rendu célèbre par ses mots d'ordre radicaux « le baptême ou la mort » ou encore « conversion ou extermination »...


[...]


Le choix partisan des références prises dans l'histoire de l'ancien régime ne fait que préparer dans le discours de Latran un alignement du vocabulaire du président de la République bien plus spectaculaire et politiquement alarmant dans le jugement porté sur la loi de séparation de l'église et de l'Etat de 1905. Cette loi n'a jamais été analysée par l'Eglise de Rome comme une simple loi d'organisation de la vie commune d'un pays démocratique. Son opposition porte sur le fond de ce qu'implique la séparation des églises et de l'Etat. Cette opposition est totale. Elle est constante. Elle a été rappelée jusqu'en 2005 par le pape Jean-Paul II. La citation de son propos est indispensable pour comprendre l'état d'esprit qui anime le Vatican à ce sujet et dont le vocabulaire choisi par ses porte parole rend compte. On sera alors d'autant plus stupéfait de retrouver les mêmes termes dans la bouche du président de la République française. Voici ce qu'écrit Jean-Paul II aux évêques de France le 11 février 2005 : « En 1905, la loi de séparation des Églises et de l'État fut un événement douloureux et traumatisant pour l'Église en France. » Retenons ces deux adjectifs : douloureux et traumatisant. Ce n'est pas de l'inventaire des biens d'église dont il est question ni du refus de la masse des français de répondre aux appels à la résistance que leur lançait le clergé dont il est question à propos de ce traumatisme. C'est du fond. L'explication du pape est claire : c'est la rupture avec le modèle de la religion d'Etat qu'il dénonce. Voici comment il résume cette « souffrance » à propos de la loi de 1905: « Elle réglait la façon de vivre en France le principe de laïcité et, dans ce cadre, elle ne maintenait que la liberté de culte, reléguant du même coup le fait religieux dans la sphère du privé et ne reconnaissant pas à la vie religieuse et à l'Institution ecclésiale une place au sein de la société. La démarche religieuse de l'homme n'était plus alors considérée que comme un simple sentiment personnel, méconnaissant de ce fait la nature profonde de l'homme, être à la fois personnel et social dans toutes ses dimensions, y compris dans sa dimension spirituelle. » Chaque mot compte dans cette présentation.. Ce que dit le président de la république n'en est que plus stupéfiant. « Je sais les souffrances que sa mise en oeuvre a provoquées en France chez les catholiques, chez les prêtres, dans les congrégations, avant comme après 1905. » C'est très exactement le point de vue clérical. Et le président poursuit de façon tout aussi incroyable en donnant raison après coup aux rébellions de l'Eglise : « Je sais que l'interprétation de la loi de 1905 comme un texte de liberté, de tolérance, de neutralité est en partie, reconnaissons le, une reconstruction rétrospective du passé. » Enfin il conclut : « C'est surtout par leur sacrifice dans les tranchées de la Grande guerre, par le partage de leurs souffrances, que les prêtres et les religieux de France ont désarmé l'anticléricalisme ; et c'est leur intelligence commune qui a permis à la France et au Saint Siège de dépasser leurs querelles et de rétablir leurs relations » Tout est blessant dans cette déclaration. La stigmatisation de la loi au motif qu'elle n'aurait pas été à l'époque une loi de liberté, acquitte la papauté de l'époque de ses appels à la désobéissance à la loi. La présentation du clergé comme la victime de la situation donne raison au refrain constant de la propagande cléricale. Et plus choquant encore l'évocation du rôle des prêtres dans la guerre de 14 non comme citoyens faisant leur devoir mais comme représentants d'un corps constitué. Sur ce sujet, si mal choisi, il reste à apprendre au président de la République que dans sa condamnation de la loi de 1905 le pape de l'époque protestait aussi contre le fait que l'on décide d' « [...] arracher les clercs à leurs études et à la discipline ecclésiastique pour les astreindre au service militaire ».



[...]


Le Président considère que le processus dont le siècle et le courant des Lumières sont l'apothéose n'est pas le mouvement qui compte à ses yeux, quand bien même a-t-il fait « naitre l'ère moderne » selon le mot de Goethe à propos de la grande révolution française. Au contraire. Pour Nicolas Sarkozy, le président de la République, les lumières appartiennent à un espace intellectuel auto limité. De ce fait même elles sont intrinsèquement dangereuses. Son analyse à ce sujet, telle qu'elle est formulée dans le discours de Latran, sert de matrice pour d'autres discours et interviews de presse. Son importance n'a d'égal que sa gravité. « Depuis le siècle des Lumières, déclare le président, l'Europe a expérimenté tant d'idéologies ! Elle a mis successivement ses espoirs dans l'émancipation des individus, dans la démocratie, dans le progrès technique, dans l'amélioration des conditions économiques et sociales, dans la morale laïque. Elle s'est fourvoyée gravement dans le communisme et dans le nazisme. Aucune de ces différentes perspectives - que je ne mets évidemment pas sur le même plan - n'a été en mesure de combler le besoin profond des hommes et des femmes de trouver un sens à l'existence. » Ce serait assez que ces mots aient été prononcés pour que n'importe quelle conscience républicaine se sente profondément blessée par la violence de l'injure qui est ainsi faite. Mais ce qui sans doute est le plus affligeant et consternant est que ces mots aient été empruntés quasi littéralement au pape Jean-Paul II lui-même pour qui le rejet des lumières est un élément central de la construction dogmatique du catholicisme. Pour ce dernier en effet, les Lumières sont le terreau des crimes et tragédies politiques du vingtième siècle. Dans le texte intégral du chapitre « Lumières et idéologies du mal » du document intitulé « Mémoire et Identité » paru en mars 2005, Jean-Paul II étend sa condamnation à la Renaissance elle-même. La raison de fond est parfaitement cohérente. C'est la négation de toute part de vérité pour tout ce qui ne procède pas de la révélation. Ces prémices sont d'ailleurs rappelées avec force en conclusion des raisonnements exposés par le pape : « « Le code moral provenant de Dieu est la base intangible de toute législation humaine dans n'importe quel système, en particulier dans le système démocratique. La loi établie par l'homme, par les parlements et par toute autre instance législative humaine, ne peut être en contradiction avec la loi naturelle, c'est-à-dire, en définitive, avec la loi éternelle de Dieu. » Cette conclusion doit être connue pour bien mesurer toute la portée du raisonnement papal et comprendre la radicale incongruité du ralliement qu'y proclame le président de la République.


[...]


Cependant, l'outrance de ce point de vue a son mérite. Elle signale avec force la piste par laquelle le « raisonnement » religieux fournit une passerelle conceptuelle efficace vers un autre corps de doctrine plus trivialement préoccupé de réalité géopolitique. Il s'agit de la théorie du « choc des civilisations » formulée par Samuel Huntington. Elle est au coeur de la pensée du président Sarkozy à propos de la réalité mondiale de notre époque. Il y a exprimé à de très nombreuses reprises son adhésion intellectuelle. C'est au point que l'on peut se demander si les manifestations d'enthousiasme religieux du président ne sont pas la conséquence de son adhésion à cette théorie plutôt que l'inverse. Le raisonnement de politique étrangère serait premier, l'intime conviction religieuse serait seconde. On pourrait être conduit vers cette conclusion par l'écart remarquable qui apparaît entre la vie réelle du président et ses déclarations de foi religieuse et d'adhésion à la morale catholique.


[...]


Dans ces conditions, le discours prononcé à Latran n'est pas le règlement de compte d'un homme de droite décomplexé avec le récit républicain traditionnel marqué par la domination intellectuelle du courant issu des Lumières. C'est un discours pour l'actualité et à propos de l'actualité telle que la voit le président et dans laquelle il pense que la France doit prendre place. Mais elle ne peut le faire en tant qu'Etat républicain construit sur les bases laïques telles qu'elles sont constituées par son histoire et en particulier celle de la loi de 1905. La République laïque ne peut connaître ni s'intégrer dans la logique du choc des civilisations. Cette impossibilité a éclaté dès son discours sur la politique étrangère de la France. Il y affirmait que « le premier défi » que le monde aurait à relever ce serait « le risque de confrontation entre l'islam et l'occident ». Cette lecture de l'état du monde à partir du fait religieux plutôt qu'en partant des politiques pratiquées par les Etats marquait une rupture du discours de politique étrangère de la France. Mais surtout il implique une conséquence inacceptable pour la France elle-même. Car les citoyens français de confession musulmane s'y trouvent immédiatement placés en situation d'impasse et de soupçon. La tension que cette vision du monde déclenche pour notre pays lui-même montre l'obstacle que représente pour cette vision la définition laïque de l'identité de la République française. On ne doit pas perdre de vue qu'il s'agit d'une opposition des principes fondamentaux mis en œuvre. Laïcité et politique du choc des civilisations s'opposent point par point sur le plan des principes sur lesquels elles reposent. Coté choc des civilisations, la diversité est la donnée indépassable, côté laïcité c'est l'unité en soi de l'espèce humaine qui est le point d'appui. Là où la politique de civilisation prône la coexistence d'intérêts intrinsèquement différents, la vision laïque postule qu'il existe un intérêt général que la raison des citoyens peut discerner et promouvoir. Là où la politique de civilisation vise une identification à une « famille », la laïcité prône l'indifférence au religieux en politique pour rendre possible l'unité et l'indivisibilité de la communauté civique. C'est pourquoi, point pour point le président est aussi méthodique dans l'affirmation et la mise en œuvre de sa vision du monde. Globalement son projet avéré est la reconfessionalisation de la société.


[...]


Et le président se fait encore plus pressant dans l'interview qu'il donne juste après son discours du Latran au journal papal l'Osservatore romano : «Ça manque les intellectuels chrétiens, ça manque les grandes voix qui portent dans les débats pour faire avancer une société et lui donner du sens et montrer que la vie n'est pas un bien de consommation comme les autres. » Dés lors, la parole présidentielle ne peut que se placer à la frontière de ce qu'elle souhaite c'est-à-dire de la prédication. C'est clairement ce qui se passe dans cette interview quand le président explique dans le style d'un prêche : « Le message du Christ, c'est un message très audacieux puisqu'il annonce un Dieu fait de pardon et une vie après la mort. Je ne pense pas que ce message d'audace extrême et d'espérance totale puisse être porté de façon mitigée. Il nécessite une grande affirmation, une grande confiance et je suis de ceux qui pensent que dans les débats d'aujourd'hui, les grandes voix spirituelles doivent s'exprimer plus fortement » Cette confusion des genres rhétoriques est spectaculaire dans le discours de Ryad. Est-ce vraiment le ton d'un président de la République française de se lancer dans une litanie qui affirme : « « L'Homme n'est pas sur Terre pour détruire la vie mais pour la donner. L'homme n'est pas sur Terre pour haïr mais pour aimer. L'homme n'est pas sur Terre pour transmettre à ses enfants moins qu'il n'a reçu mais davantage. C'est au fond ce qu'enseignent toutes les grandes religions et toutes les grandes philosophies. C'est l'essence de toute culture et de toute civilisation. » Tous les observateurs ont été sidérés par le glissement vers la forme et le ton du prédicateur quand le président est passé à l'évocation de Dieu comme d'une entité présente et indubitable. Il l'a fait sur le mode d'une prière au contenu d'ailleurs assez significatif d'un certain aveuglement devant la réalité de l'action religieuse dans le monde: « Dieu transcendant qui est dans la pensée et dans le cœur de chaque homme. Dieu qui n'asservit pas l'homme mais qui le libère. Dieu qui est le rempart contre l'orgueil démesuré et la folie des hommes. Dieu qui par-delà toutes les différences ne cesse de délivrer à tous les hommes un message d'humilité et d'amour, un message de paix et de fraternité, un message de tolérance et de respect ». Dans l'élan de ce discours, la confusion des genres a été portée jusqu'au point où le président s'est institué commentateur et source de théologie à propos du contenu des religions. Est-ce bien à un chef d'Etat laïque de s'engager sur de tels contenus ?


[...]


Qu'il s'agisse de la façon de parler des prêtres ou de lui-même tout dans ce moment de parole est hors norme de la part d'un chef d'Etat républicain. Jugeons plutôt sur pièce : « Je mesure les sacrifices que représente une vie toute entière consacrée au service de Dieu et des autres. Je sais que votre quotidien est ou sera parfois traversé par le découragement, la solitude, le doute. Je sais aussi que la qualité de votre formation, le soutien de vos communautés, la fidélité aux sacrements, la lecture de la Bible et la prière, vous permettent de surmonter ces épreuves. » Puis il vient à ce qu'il appelle sa vocation avec des mots qui ne sont plus ceux d'un homme qui porte un mandat électif confié par le peuple mais plutôt celui d'une onction de caractère mystique : « Sachez, dit-il, que nous avons au moins une chose en commun: c'est la vocation. On n'est pas prêtre à moitié, on l'est dans toutes les dimensions de sa vie. Croyez bien qu'on n'est pas non plus Président de la République à moitié. Je comprends que vous vous soyez sentis appelés par une force irrépressible qui venait de l'intérieur, parce que moi-même je ne me suis jamais assis pour me demander si j'allais faire ce que j'ai fait, je l'ai fait. Je comprends les sacrifices que vous faites pour répondre à votre vocation parce que moi-même je sais ceux que j'ai faits pour réaliser la mienne. »
En faisant du sacré la mesure de l'authentique, le président a franchi un seuil inacceptable. Il a repris à son compte l'accusation injurieuse des ennemis de la République qui dénonçaient l'amoralisme de « l'école sans dieu ». Entre le prêtre et l'instituteur le président a établi une hiérarchie odieuse que seul les cléricaux les plus fossilisés pouvaient avoir a l'esprit : « Dans la transmission des valeurs et dans l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s'il est important qu'il s'en approche, parce qu'il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d'un engagement porté par l'espérance. »


[...]


Dans ces conditions, la description du monde selon Nicolas Sarkozy est condamnée à prendre ses distances avec la formulation républicaine de la laïcité. De la laïcité indifférence de l'Etat vis à vis des religions il passe à la laïcité « neutralité ». Puis la neutralité est décrite comme l'égalité de traitement des religions ce qui est déjà tout autre chose que l'indifférence. Puis, de cette égalité de traitement on glisse à l'idée d'une égale valorisation des religions indispensables au bon fonctionnement de la société et à l'épanouissement des personnes. Bien sûr cela n'a plus rien à voir avec la laïcité de la loi de 1905. On est alors dans un autre espace sémantique. C'est celui que Nicolas Sarkozy appelle « la laïcité positive ».
Ce concept serait une création intellectuelle du président de la République et sa contribution à l'histoire de la pensée sur cette question. Lui-même s'approprie ouvertement l'invention du mot : « c'est ce que j'appelle la laïcité positive » dit-il dans le discours de Latran. « C'est pourquoi j'appelle de mes vœux l'avènement d'une laïcité positive, c'est-à-dire une laïcité qui, tout en veillant à la liberté de penser, à celle de croire et de ne pas croire, ne considère pas que les religions sont un danger, mais plutôt un atout. » Demander aux pouvoirs publics de reconnaitre que les religions sont un atout, ce n'est évidemment plus la loi de 1905 mais son contraire. C'est parce que la République ne reconnaît aucun culte qu'elle ne les subventionne pas et qu'elle n'en salarie aucun membre. Les deux idées se tiennent étroitement. C'est bien pourquoi, sitôt fini d'énoncer ses soi disantes considérations sociologiques sur l'atout que seraient les religions, le président de la république en vient aussitôt à la nécessité de la réforme de la loi de 1905. : « Il ne s'agit pas de modifier les grands équilibres de la loi de 1905. Les Français ne le souhaitent pas et les religions ne le demandent pas. Il s'agit en revanche de rechercher le dialogue avec les grandes religions de France et d'avoir pour principe de faciliter la vie quotidienne des grands courants spirituels plutôt que de chercher à la leur compliquer » naturellement le chef de l'Etat se garde bien de dire en quoi consiste selon lui les grands équilibres de la loi de 1905 et on est en droit de penser que c'est une difficulté compte tenu des définition que lui-même donne de la laïcité... cependant on aurait tort de croire que la « laïcité positive » serait une improvisation au fil d'un discours présidentiel. Le terme est trop ostensiblement avancé comme une nouveauté destinée à nommer de nouvelles réalités. En fait il s'agit d'une doctrine très construite. Elle décrit une méthode du retour du religieux dans tout l'espace public conformément à ce qu'en a dit le président au fil de ses discours. Mais ni l'idée ni le mot, ni l'enchainement du raisonnement ne sont de lui. C'est un concept papal. Il a été produit par Benoît XVI. Celui-ci l'a résumé notamment dans son message 11 octobre 2005 au Président du Sénat italien Marcello Pera, à l'occasion du colloque « Laïcité et liberté » organisé les 15 et 16 octobre par les Fondations Magna Carta et Subsidiarité. « J'encourage une saine laïcité de l'Etat en vertu de laquelle les réalités temporelles sont régies par des normes propres, auxquelles appartiennent aussi ces instances éthiques qui trouvent leur fondement dans l'essence même de l'homme. [...] Parmi celles-ci le “sens religieux” a certainement une importance primordiale : là s'exprime l'ouverture de l'être humain à la Transcendance. Un Etat sainement laïc devra logiquement reconnaître un espace dans sa législation à cette dimension fondamentale de l'esprit humain. Il s'agit en réalité d'une “laïcité positive” qui garantisse à tout citoyen le droit de vivre sa foi religieuse avec une liberté authentique y compris dans le domaine public. [...] Pour un renouveau culturel et spirituel de l'Italie et du continent européen, ajoute le pape, il faudra travailler afin que la laïcité ne soit pas interprétée comme hostile à la religion, mais, au contraire, comme un engagement à garantir à tous, aux individus et aux groupes, dans le respect des exigences du bien commun, la possibilité de vivre et de manifester ses convictions religieuses ». La laïcité ainsi présentée ne se limite pas comme on peut le voir à la liberté de conscience individuelle ni à la pratique du culte par les croyants. Il s'agit d'autre chose de plus. De ce que l'encyclique « Véhémenter Nos » contre la loi de 1905 proclamait avec force à propos de Dieu: « [...] Nous lui devons donc, non seulement un culte privé, mais un culte public et social, pour l'honorer. » Ici, pour Benoît XVI, il ne s'agit pas seulement de « vivre » sa foi mais encore de la « manifester » « y compris dans le domaine public ». Nicolas Sarkozy s'était déjà hasardé à la frontière de la négation de la frontière entre la sphère publique et la conviction privée quand il avait demandé, faussement ingénu, en pleine campagne électorale présidentielle, dans le journal « La Croix » :« Vous ne pouvez pas cantonner l'aspect religieux au seul aspect cultuel. [...] Et qu'est-ce que la sphère privée ? Quand Jacques Chirac va à la messe à Brégançon, le fait-il à titre privé ou public ? »
L'église catholique qui a bien compris l'impossibilité de reprendre ses arguments frontaux contre la loi de 1905 reprend sa campagne avec d'autres mots pour dire la même chose et viser les mêmes objectifs. La « laïcité positive » est cet avatar. Elle est entourée d'un appareil de précision et de définition où s'expose la grande habileté du procédé puisque pour finir c'est l'église catholique et les cléricaux qui s'approprient le concept de laïcité pour le redéfinir et l'opposer aux laïques eux-mêmes.



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