samedi 7 juillet 2007

TVA sociale et écrans de fumée : retour sur le mythe du tsunami bleu

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué. Nos analystes politiques sont formels : il s’est passé "quelque chose" entre les deux tours des élections législatives, qui explique le fait que le "tsunami bleu" tant annoncé s’est révélé moins retentissant que prévu. Selon eux, il faut voir du côté de la TVA sociale, conjuguée à une "démobilisation" d’un coté et une "remobilisation" de l’autre. Une prise de position pour le moins curieuse, qui s’inscrit en faux contre le principe de simplicité (rasoir d’Occam). Principe de simplicité qui pourrait s’énoncer de la manière suivante : "les chiffres du premier tour contiennent souvent ceux du résultat du deuxième". Et comme je vais vous le montrer, c’est exactement ce qui s’est produit lors de ces élections législatives : les résultats du second tour ne sont ni plus ni moins que la confirmation de la tendance de ceux du premier.



Le contexte

Durant les semaines qui précédé les élections législatives, les médias nous ont abreuvé de prédictions sans équivoque : on aurait droit à un raz de marée UMP à l’assemblée. Se déplacer avec l’intention d’aller voter pour un candidat autre que celui de l’UMP serait en quelque sorte une perte de temps : c’est tout à fait vain vouloir ramer à contre courant, on n’empêche pas l’inévitable. Ce battage médiatique est sans doute à l’origine du fort taux d’abstention aux élections législatives, en net décalage avec le taux de participation aux élections présidentielles.

Les politologues, analystes, journalistes politiques autres experts autorisés se sont succédés pour donner leur avis éclairés : "vague bleue", "raz de marée bleu", "onde bleue", "tsunami bleu", "déferlante bleue", etc... On a tout eu.
Jusque dans les émissions de pseudo-débats qui tournent rapidement au bavardage politique :

- "Peut être pas un tsunami, mais au moins une grosse vague..."
- "Oui d’accord avec vous, très certainement une grosse vague bleue".

Les médias nous ont présenté cette suprématie de la droite comme inéluctable. D’où un très net décalage entre les aspiration des électeurs, et leur perception de la réalité : selon un sondage BVA, moins d’un français sur deux souhaitait que la droite soit majoritaire à l’assemblée, tandis que 75% des sondés estimaient que cette majorité serait inévitable.

Ces analyses ont perduré même après les résultats du 1er tour. Au soir du second tour, nos experts politologues ont donc du trouver une explication, dont l’origine ne pouvaient provenir que de l’entre-deux tours : d’où l’histoire de la TVA sociale montée en épingle.
Pourtant, les résultats du premier tour indiquaient clairement que l’emprise de l’UMP sur l’Assemblée serait nettement moins flagrante que ce que l’on avait bien voulu nous le seriner.

Au soir du premier tour de l’élection présidentielle, il n’y avait pas besoin d’être un génie de la politique pour prévoir l’issue du second tour. Etant donné le rapport des forces en présence, et les reports de voix attendus, la victoire de Nicolas Sarkozy était tout à fait prévisible.

Le premier tour de ces élections législatives répond à deux questions qui déterminent l’issue du scrutin :

1) Les électeurs traditionnels du FN vont-ils continuer à voter pour un candidat dont ils estiment qu’il pourra incarner leurs idées ?
=> Réponse : OUI. Le faible pourcentage du FN le prouve.

2) François Bayrou parviendra-t-il à transformer l’essai de l’élection présidentielle avec la création du MoDem ?
=> Réponse : NON. Bayrou avait totalisé plus de 18% il y a deux mois, dont les suffrages s’étaient partagés à peu près équitablement entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal au second tour. Or son nouveau parti récolte seulement 7.5% des voix lors de cette élection législative. Là encore, pas besoin d’être un génie de la politique pour comprendre que la très grosse majorité des suffrages récoltés par Bayrou il y a 2 mois et qui s’étaient ralliés à Sarkozy au deuxième tour de la présidentielle ont boudé le MoDem au premier tour des législatives au profit de l’UMP ou du Nouveau Centre, afin de permettre à Nicolas Sarkozy de bénéficier d’une majorité forte à l’Assemblée. On peut donc raisonnablement penser que le faible score du MoDem est un indicateur que les suffrages du second tour seront hostiles aux candidats UMP, a fortiori lorsque François Bayrou appelle à voter pour "favoriser le pluralisme" entre les deux tours.


En fouillant dans les stats...

L’étude suivante est basée sur les résultats disponibles sur le site du Journal Du Dimanche. Elle est très simple, et pourtant elle semble refléter une image tout à fait fidèle de la réalité. En ventilant la répartition des suffrages des électeurs du MoDem entre candidats de droite et de gauche, cette étude montre l’impact des voix des électeurs MoDem sur l’issue du scrutin. Et même avec une répartition 50/ 50 entre droite et gauche, on voit très clairement que les estimations que l’on nous a communiquées au soir du 1er tour étaient totalement grotesques.


1 ) On considère uniquement le candidat en tête au premier tour
La première approximation consiste à prendre la couleur politique du candidat qui arrive en tête au premier tour, et d’estimer qu’il sera vainqueur au second tour. C’est en quelque sorte une approximation de degré zéro, extrêmement naïve, puisqu’elle ne nous renseigne en rien sur l’état des forces politiques en présence.

Et pourtant, il semblerait que ce soit ce qu’on fait les médias, puisqu’ils nous ont annoncé plus de 400 sièges pour l’UMP, confortant leur idée de raz de marée bleu à l’Assemblée.

Parti Estimation : en tête au premier tour Résultat réel du second tour
Mouvement pour la France 1 1
Ecologiste 0 0
Union pour un Mouvement Populaire 415 314
Socialiste 111 185
Majorité présidentielle 25 22
Les Verts 2 4
Régionaliste 1 1
Extrême droite 0 0
Radical de gauche 2 7
UDF-Mouvement Démocrate 1 3
Front national 0 0
Extrême gauche 0 0
Communiste 6 15
Chasse Pêche Nature Traditions 0 0
Divers droite 7 9
Divers 0 1
Divers gauche 6 15


2) On regroupe les partis en quatre grandes familles

La deuxième approximation, très simple également (mais un tout petit peu moins ridicule), consiste à faire le bilan des forces en présence, en cumulant forces dites de droite et celles dites de gauche.

Gauche Droite Divers MoDem
CommunisteChasse Pêche Nature TraditionsDiversUDF-Mouvement Démocrate
Divers gaucheDivers droiteRégionaliste
EcologisteExtrême droite

Extrême gaucheFront national

Les VertsMajorité présidentielle

Radical de gaucheMouvement pour la France

SocialisteUnion pour un Mouvement Populaire

C’est une approche simpliste qui considère que les forces de gauche et de droite se reportent parfaitement. Mais c’est déjà une approximation un peu meilleure que la première.


3) Les duels du second tour

Pour simplifier, on considère que seuls les deux meilleurs candidats parmi les quatre groupes mentionnés précédemment s’affrontent au second tour. Les autres, s’il y en a, se désistent. On obtient donc :


Nombre total circonscriptions : 577
Nombre de candidats élus des le 1er tour : 110
Récapitulatif des duels du second tour :
Droite vs Gauche : 453
Droite vs Modem : 5
Droite vs Divers : 6
Gauche vs Modem : 0
Gauche vs Divers : 1
Modem vs Divers : 0
-------------------------
Total duels : 465

Victoires 1er tour + Duels : 575
Candidatures uniques au 2nd tour : 2
nord-19eme
seine-saint-denis-7eme

Donc 453 des 465 duels du second tour sont des duels Gauche (au sens large) VS Droite (au sens large).


4) On ventile la contribution des électeurs du MoDem

Pour simplifier, on néglige la contribution au second tour des candidats marqués "Divers" (Divers + Régionalistes), considérant que leurs votes vont se répartir équitablement entre droite et gauche. Et on ventile la répartition des voix du MoDem, de 50% à 100% en faveur de la gauche, par incréments de 10%.

Parti En tête 1er tour MoDem 50% MoDem 60% MoDem 70% MoDem 80% MoDem 90% MoDem 100% Résultat réel
Mouvement pour la France 11111111
Ecologiste 00000000
Union pour un Mouvement Populaire 415365356341325313300314
Socialiste 111141149160176186199185
Majorité présidentielle 2522222222222222
Les Verts 22344444
Régionaliste 11111111
Extrême droite 00000000
Radical de gauche 25577997
UDF-Mouvement Démocrate 13333333
Front national 00000000
Extrême gauche 00000000
Communiste 614141515151515
Chasse Pêche Nature Traditions 00000000
Divers droite 77777779
Divers 01111111
Divers gauche 615151515151515

On constate que la colonne MoDem 90% correspond quasiment aux résultats du second tour. Ce qui n’est pas du tout surprenant étant donné l’analyse précédente. Par ailleurs, on constate que même avec une redistribution équivalente (50/50) des voix MoDem entre droite et gauche (hypothèse dont on sait qu'elle est trop favorable à l'UMP), on est autour de 365 sièges UMP, bien en dessous des 400 à 450 annoncés.


5) Validation : matrice de confusion

On peut analyser un peu plus finement la colonne qui correspond à un report de 90%/10% des voix du MoDem en faveur des candidats de gauche, qui correspond à la meilleure hypothèse du tableau précédent en terme de répartition de sièges.

Evidemment, l’hypothèse du report parfait des voix entre les différents partis de droite et entre les différents partis de gauche est fausse. Mais si elle est fausse d’un coté, elle l’est également de l’autre, et au final on peut supposer que ces deux erreurs se compensent. Idem pour les circonscriptions erronées : comme cette hypothèse ne favorise ni un camp ni l'autre, on peut s'attendre à ce que statistiquement, les erreurs de prédiction d’élus de gauche au profit d’élus de droite soient compensées par les erreurs de prédiction d’élus de droite au profit d’élus de gauche. Cette hypothèse est confortée par le fait que la quasi-totalité des duels du 2nd tour sont des duels droite/gauche (453 sur 465).

C’est ce qu’on constate avec la matrice de confusion suivante :


MPF ECO UMP PS RG V DG REG ED NC MODEM FN EG COM CPNT DD DIV
MPF 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
ECO 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
UMP 0 0 290 19 3 0 2 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
PS 0 0 18 167 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
RG 0 0 1 0 6 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
V 0 0 0 0 0 4 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
DG 0 0 2 0 0 0 13 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
REG 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0
ED 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
NC 0 0 0 0 0 0 0 0 0 22 0 0 0 0 0 0 0
MODEM 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 3 0 0 0 0 0 0
FN 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
EG 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
COM 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 15 0 0 0
CPNT 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
DD 0 0 2 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 7 0
DIV 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1
TOT EST. 1 0 313 186 9 4 15 1 0 22 3 0 0 15 0 7 1
TOT REEL 1 0 314 185 7 4 15 1 0 22 3 0 0 15 0 9 1

En lignes on a les valeurs réelles, en colonnes les valeurs prédites. Cette matrice permet d’analyser la répartition des erreurs de prédiction. Par exemple, 19 députés UMP sont étiquetés PS, et 18 députés PS sont étiquetés UMP.

Une bonne matrice de confusion est une matrice qui contient une diagonale importante. Et on voit que c’est le cas ici.


En rouge la répartition des sièges estimée.
En vert la répartition réelle.


Conclusion

C’est bien gentil de fouiller dans les données connaissant le résultat, mais qu’est ce que cela nous apprend ?

Avant le premier tour, il était assez clair que le résultat du MoDem serait l’un des facteurs clés de cette élection.
Je présente donc une idée extrêmement simple : à partir du résultat du 1er tour, rassembler les partis en deux grands groupes : "Droite" et "Gauche". Pour simplifier, on écarte les "Divers" qui ne sont pas présents au second tour, et on ventile la répartition des suffrages du MoDem entre droite et gauche.

C'est un modèle très simpliste, qui considère des reports "parfaits", et qui ne prend en compte aucune spécificité locale. Et pourtant, on n'est pas si loin du compte, la matrice de confusion le montre : on a une configuration pour laquelle les résultats sont très proches de la réalité.

Ce que cette étude montre, c’est que les résultats du second tour ne sont pas du tout en décalage avec ceux du premier tour. Ils en sont la confirmation. Ca semble évident : il faut vraiment prendre les gens pour des abrutis pour penser qu'ils votent noir un jour et blanc le week-end suivant.

Dans le tableau qui ventile la répartition des voix du MoDem, on ne sait pas quelle colonne sera la bonne (même si a priori on peut se douter que les voix des électeurs du MoDem seront principalement défavorables à la majorité annoncée). Mais quoi qu'il en soit, ce simple tableau montre très clairement que les prédictions qui ont continué à annoncer un raz de marée bleu après le premier tour étaient totalement erronées.

Cette étude montre donc que les évènements survenus entre les deux tours ont eu une incidence tout à fait marginale sur l’issue du scrutin, la seule véritable grosse inconnue du second tour étant le degré de défiance des électeurs du MoDem vis à vis de la majorité présidentielle.

Pas besoin d’avoir recours à une explication fumeuse type TVA sociale, ou comme on nous l’a également suggéré, une démobilisation d’un coté et une remobilisation de l’autre. Démobilisation/Remobilisation qui se serait opérée de manière parfaitement symétrique (dans les mêmes proportions d’un coté comme de l’autre) puisque le taux d’abstention du second tour est resté quasiment identique à celui du premier tour : autour de 39.5%

TVA sociale et démobilisation/remobilisation sont des tentatives pour expliquer a posteriori un basculement imaginaire qui serait survenu entre les deux tours.

Ce basculement imaginaire de l’entre-deux tours permet à tous nos analystes de sauver la face, puisque cette "bourde" de la TVA sociale était par nature imprévisible.
Ca leur permet également d’éviter de se poser des questions sur les raisons antérieures au premier tour qui sont susceptibles d’expliquer ce succès en demi-teinte de l’UMP. Pourquoi ne pas plutôt être allé regarder du coté de :

  • l’escapade maltaise de Nicolas Sarkozy, et du fait qu’un certain nombre de ses électeurs aient pu se rendre compte qu’ils étaient cocus dès le lendemain de l’élection (selon l’expression de Demian West)

  • Censure du JDD à propos de l’abstention de Cecilia Sarkozy au second tour de l’élection présidentielle
  • Les rapprochements entre Médias et Pouvoir qui se sont opérés comme prévu.
  • La servilité des médias français vis à vis de l’intervention de Nicolas Sarkozy au G8, dont ils n’ont parlé que parce que le buzz sur internet l’avait rendue impossible à ignorer.
  • Les bobards sur l’écologie
  • Le fait qu’une partie des électeurs de Nicolas Sarkozy commencent petit à petit à prendre conscience que ses promesses sont contradictoires
  • Un rejet de la "stratégie d’ouverture"
  • Le ras le bol de son omniprésence
  • Une profonde aversion des français pour le jogging
  • Le bouclier fiscal
  • Le rejet par ce gouvernement de l’idée du non-cumul des mandats
  • ...

Bref, les raisons sont nombreuses. La TVA sociale, qui n’a eu qu’une incidence tout à fait marginale, est l’arbre qui cache la forêt.

Compte tenu de la manière dont les journaux ont persisté dans l’erreur (même après le premier tour, alors qu’il était devenu clair que le "raz de marée bleu" n’aurait pas lieu), on est en droit de se demander si cette "grosse vague bleue" a eu une quelconque légitimité à un moment donné, ou si au contraire ça a toujours été une illusion, un mirage que les médias ont contribué à dessiner (volontairement ou non, mais quel acharnement dans l'erreur !), article après article.



Le programme informatique sous licence GPL (écrit en langage Python) qui permet de générer ces résultats, et une copie des données en provenance du site du JDD sont disponibles à l’adresse : http://archives.du.souk.free.fr/elections/legislatives2007



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