dimanche 26 août 2007

De la "Théorie du complot" en guise d'épouvantail de la pensée

On continue à se balader dans le documentaire Manufacturing Consent.

Le passage qui nous intéresse aujourd'hui est un extrait d'une confrontation entre Noam Chomsky et Fritz Bolkestein (mais si vous savez, Bolkestein, l'inventeur du "Plombier Polonais", c'est bien lui avec quelques années de moins).

Le parallèle avec le match de boxe est ridicule, mais cette vidéo vaut le coup d'oeil :



D'abord, ça fait toujours plaisir de voir Bolkestein se faire rentrer dans le lard.

Ensuite, il y a un point intéressant :
The phrase "Conspiracy theory" is something that is constantly brought up, and its effect is simply to discourage institutional analysis.

Traduction :
L'expression "théorie du complot" est une formule qu'on nous ressort régulièrement, et dont l'effet est simplement de décourager l'analyse institutionnelle.


Et c'est vrai. "Théorie du complot" est une expression qu'on ressert à toutes les sauces. Son effet n'est pas de contrer les arguments adverses, mais plutôt de discréditer la conversation elle-même. Pour clore le débat, on disqualifie la discussion en tant que telle. En d'autres termes : l'objet de cette conversation n'est rien d'autre qu'une théorie du complot, donc on perd notre temps.

Cette idée est développée plus longuement par Serge Halimi et Arnaud Rindel, dans un article repris par Acrimed en début de semaine.

Décidément, j'aime bien Serge Halimi ! J'ai mis un extrait audio d'une de ses interventions dans un billet précédent. Il est également l'auteur du livre : Les nouveaux chiens de garde (actualisé en 2005), dans lequel il fait une étude très intéressante sur la télévision et les grands journaux français. Un bon petit bouquin à lire d'urgence.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Comment ça va au souk ?
Sans vouloir apporter la contradiction permanente, il faut se garder de transposer toutes les analyses de Chomsky sur l'ensemble du globe.
En particulier, il me semble faux de dire que l'argument de la théorie du complot est beaucoup utilisé en France pour empêcher tout débat d'idée, à la différence de ce qui se passe aux Etats-Unis.
Et si, aux Etats-Unis, cette utilisation est fréquente, c'est aussi parce que beaucoup utilisent pour expliquer le premier fait venue l'existence d'un "complot" ou d'une machination. L'exemple d'Elvis Presley est à ce titre révélatrice.
Or, il s'avère que, dans beaucoup de cas, le recours à ces explications anti-pensée-officielle est un subterfuge, et ne débouche sur rien.
Ainsi, je crois probable, sachant cela, que l'Etat, américain en particulier, utilise ce paravent pour couvrir quelques agissements suspects. Autrement dit l'Etat pourra, de cette manière, arguer du fait que ses opposants ne sont pas crédibles. Mais cela reste minoritaire à mon avis.
Dans le cas de l'avion qui s'est écrasé sur le Pentagone par exemple, il y a des témoins oculaires, et il y a la disparition d'un avion. Quel serait le mobile des dizaines de personnes qui accréditeraient ainsi la thèse officielle ? C'est aux contradicteurs de le démontrer, et autrement qu'en débattant de la couleur des volutes de fumée (je te nargue un peu, là).

Pour en revenir à la France, je n'ai pas souvenir d'affaires - françaises - sérieuses où cette théorie du complot ait été opposée. Même l'affaire Clearstream, qui cache probablement des agissements douteux, a fini par éclabousser un président et un premier ministre.

Enfin, j'ai suivi, comme toujours, le lien que tu proposes : je crois que le verbiage utilisé par les auteurs est, lui, un véritable écran de fumée. Je cite : "Depuis un quart de siècle, la contre-révolution néolibérale, la décomposition des régimes « communistes » et l’affaiblissement des syndicats ont concouru à la renaissance puis à l’hégémonie d’une pensée individualiste. Les institutions collectives sont démantelées ; celles que l’on édifie sur leurs décombres privilégient le consommateur désaffilié, l’« individu sujet ». Dorénavant perçues comme « marxistes » et donc dévaluées à l’égal des régimes qui se prétendaient tels, les analyses structurelles de l’histoire, de la politique et des médias sont par conséquent dédaignées. Le refus de postuler que la spontanéité des « acteurs » et l’élan impétueux des « droits de l’homme » seraient les principes essentiels guidant la mondialisation expose au risque d’être qualifié d’archaïque, d’extrémiste ou de paranoïaque. Et la trappe de la « fin des idéologies » condamne à la pendaison les « grands récits collectifs » construits autour d’une histoire sociale conflictuelle. […]"

Et on trouve d'ailleurs un contrepoint intéressant à ton billet, puisque les auteurs, afin d'expliquer l'attitude de penseurs en désaccord avec Chomsky (sacrilège !), expliquent cela par un....complot :
"En France, pays où cette campagne ne paraît connaître aucun répit, ce sont donc surtout des périodiques et des intellectuels catalogués à « gauche » qui se sont acharnés à falsifier les travaux et les conclusions du linguiste américain afin de maintenir vivace sa « mauvaise réputation »."

C'est l'avantage de ceux qui voient des complots partout : ils ne sont jamais aussi bien servis que par eux-même.

Amitiés.

Anonyme a dit…

Salut le souk !
Juste pour signaler un blog qui reprend des positions qui devraient t'intéresser, à propos du web 2.0 : http://pisani.blog.lemonde.fr/
Notamment, ses 4 derniers billets sont intéressants....
A+

Anonyme a dit…

Salut Desdichado !

Merci pour le lien vers le blog de pisani. Ca a l'air intéressant, je vais regarder ça plus en détails.

Merci également pour tes commentaires contradictoires. Ils sont souhaitables et ils sont appréciés : c'est le but du jeu.


A propos de l'affaire Clearstream, tu as sans doute raison. Je ne suis jamais rentré dedans (ça viendra sûrement), donc je ne sais pas grand chose à ce sujet, et je ne vais pas la ramener là dessus ;) J'ai tout de même tendance à voir d'un mauvais oeil le fait que Denis Robert se retrouve englué dans les procès jusqu'au cou : http://www.contreinfo.info/article.php3?id_article=707
J'espère que cette affaire ne servira pas uniquement comme outil de règlement de comptes politique.


Chomsky se défend d'avoir recours à une théorie du complot. Dans un billet précédent ( http://souk.zeblog.com/218156-chomsky-borner-le-debat/ ) et dans l'article dont je donne le lien dans ce billet, il est question de "filtres". Ce sont certains de ses détracteurs qui tentent de mettre en avant cette idée de "théorie du complot". Les "filtres" sont des facteurs qui tendent à déformer notre vision du monde, notre perception de la réalité. Il cite un certain nombre de ces facteurs.
L'un des plus importants, il me semble, c'est l'intrication et la convergence des intérêts financiers. Un journaliste est un employé. Un employé a rarement toute latitude pour nuire aux intérets de son patron. La hiérarchie répercute cette pression (si je ne te tape pas sur les doigts, c'est sur les miens qu'on tapera).
Un autre facteur important : la menace que des groupes industriels ou financiers sont capables de faire peser sur des groupes de presse (étranglement financier ou procès à rallonge jusqu'à épuisement des moyens). Des groupes de presse qui finissent par estimer que le jeu n'en vaut pas forcément la chandelle.
Il vaut mieux sacrifier les journalistes qui ne veulent pas lâcher le morceau plutôt que de s'attaquer à un trop gros poisson. Un exemple assez frappant dans ce domaine, le scandale autour de l'hormone rbGH de Monsanto, voir le bouquin Black-List :
http://www.arenes.fr/livres/fiche-livre.php?numero_livre=61
"Le 14 février 2003, la cour d'appel de Floride jugera qu'aucune loi n'interdit à une chaîne de télé ou à un groupe de presse de mentir au public (les règles fixées par le FCC le proscrivent, mais celles-ci ne font pas force de loi). En conséquence, la cour estime que les dispositions légales en vigueur en Floride, protégeant les employés qui dénoncent les pratiques illicites de leur employeur, ne peuvent s'appliquer en l'espèce. Au terme d'un arrêt très technique, qui s'efforce de contourner la question de fond - la malhonnêteté de Fox vis-à-vis de ses téléspectateurs -, elle condamnera Jane Arke et Steve Wilson à rembourser à la chaîne ses frais d'avocats, qui s'élèvent aujourd'hui à plusieurs millions de dollars."
Ce bouquin est très intéressant, il faudrait que j'en mette quelques extraits.
En France on en est peut être pas encore là. Mais l'exemple de Denis Robert donne matière à réfléchir : est ce que le jeu en vaut vraiment la chandelle, du point de vue du journaliste ? Est ce qu'une enquête mérite qu'on mette en cause son job, sa réputation, son statut social, sa vie privée, qu'on hypothèque son avenir et celui de sa famille ? Je crois que oui. Mais j'ai le bon rôle : c'est beaucoup plus facile à dire quand on n'est pas directement confronté à cette situation.


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Le fait de dire :
"En France, pays où cette campagne ne paraît connaître aucun répit, ce sont donc surtout des périodiques et des intellectuels catalogués à « gauche » qui se sont acharnés à falsifier les travaux et les conclusions du linguiste américain afin de maintenir vivace sa « mauvaise réputation »."

Tu présentes le fait que ses travaux soient dénigrés, falsifiés et que lui en tant que tel soit diffamé (lorsqu'on lui fait dire qu'il légitime les crimes de Pol Pot, ou lorsqu'on fait de lui un négationniste de la Shoah) comme "un complot". Mais là encore, ça n'a rien à voir avec un complot.
Le fait que des gens dont la légitimité, le sérieux, l'impartialité ou l'intégrité intellectuelle sont remis en cause du fait de ces critiques ; cherchent à se défendre (et à défendre leur bout de gras), y compris pour certains d'entre eux en tentant de discréditer la personne qui émet les critiques, ça n'a rien à voir avec une théorie du complot. Le fait que par instinct grégaire, d'autres se joignent à eux pour hurler avec les loups sans avoir pris le temps de se renseigner correctement, là encore ça n'a rien à voir avec une théorie du complot. On peut en trouver des tas d'exemples dans la vie courante. Le boulot est en général un lieu assez propice à l'observation de tels comportements. Ca n'implique pas qu'il s'agisse d'une opération secrète, occulte, concertée et coordonnée (en d'autres termes : un complot).

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Puisque tu me parles de "l'avion du pentagone", laisse-moi le temps de mettre un peu d'ordre dans les liens que j'ai glanés à droite et à gauche. Ce sera l'objet de mon prochain billet.

En attendant, pour te marrer un peu, tu peux toujours aller jeter un coup d'oeil au paragraphe "présentation de l'éditeur" de ce bouquin :
http://www.amazon.fr/nouveaux-imposteurs-Antoine-Vitkine/dp/284675151X/ref=pd_bxgy_b_img_b/402-9584318-9685720
Un bouquin que je vais me forcer à lire malgré tout : dans une certaine mesure, il faut se forcer à écouter ce que racontent "les cons" (on est toujours le con de quelqu'un), ne serait-ce que pour s'assurer que c'est bien eux qui ont tort.


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Et pour maintenir un suspense torride jusqu'au prochain billet, la question à 10000 kopecks (ça fait quand même presque 3 euros) : Où est passé le bus Greyhound ?

La réponse, peut-être, dans le prochain billet.


Ou pas.

Anonyme a dit…

Ouh là, c'est pas du jeu, tu assommes le débat, là !

Bon, juste une précision, il n'est pas pareil de dire que des adversaires déforment la réalité pour se défendre, et écrire que "des intellectuels catalogués à « gauche » qui se sont acharnés à falsifier les travaux".
Je mets juste en cause un verbiage suspect (ce qui se conçoit bien s'énonce toujours clairement, j'en suis persuadé), et l'emploi de termes excessifs destinés à dresser des barrières et à former, de manière très artificielle, des controverses (ce que l'on appelle des trolls sur notre petit monde d'Internet...).

Mais bon, tant que les anarcho-syndicalistes s'étripent avec les trostkistes sous le regard indigné des libéral-guévaristes, ça m'en touche une sans faire bouger l'autre, comme disait notre siocalo-conservateur de président (et dire qu'on en est presque à dire 'regretté président'...).

PS : Pour le bus Greyhound, si c'est comme les TCL, attends encore un peu avant d'écrire ton billet, il est peut-être juste en retard... ;-)

Anonyme a dit…

Oui c'est vrai, il y avait surement de meilleures manières de le dire.

Je pense qu'ils font référence, entre autres, à la polémique qui a opposé Noam Chomsky à Yves Laplace (et Jean-Michel Helvig de Libération) à la suite de la publication du bouquin "Le nouvel humanisme militaire" en 2000. Un regard critique sur la guerre au Kosovo.
Je ne l'ai pas (encore) lu, mais je pense que ça vaut le coup d'oeil. J'ai lu "Désinformation : flagrant délit" de Vladimir Volkoff sur le même sujet, qui est tout à fait accablant.

Pour en savoir plus sur ladite polémique :
http://www.acrimed.org/article77.html
http://www.acrimed.org/article79.html

et du point de vue de l'éditeur :
http://www.alencontre.org/EdPage2/chomsky/p2_debat.html